L'or de Poséidon
pour moi. Il se passa la main sur le front d’un geste las.
— Un touriste s’est débrouillé à se faire couper en morceaux par un maniaque, ou plusieurs, dans la chambre qu’il avait louée… Je ne peux pas dire qu’il aurait dû pousser le verrou, parce qu’un tel luxe n’existait pas dans ce bouge.
— Quel est le mobile du meurtre ? Le vol ?
— Possible.
Petro était extrêmement tendu.
En hiver, pourtant, les attaques contre les voyageurs diminuaient sensiblement. Les voleurs professionnels étaient bien trop occupés à compter leurs gains amassés au cours de l’été. Et tuer la victime était exceptionnel. Pas par bonté d’âme, mais parce qu’il était idiot d’attirer inutilement l’attention des autorités. Il y avait suffisamment d’imbéciles qui venaient visiter Rome chargés de bourses pleines et flânaient le long de la via Sacra, comme des moutons attendant d’être tondus.
— Des indices ? demandai-je pour l’encourager.
— Pas sûr. En tout cas, ils me plaisent pas. Un vrai massacre. Il y a du sang partout.
Puis il se tut, comme s’il ne pouvait pas supporter d’en dire davantage.
Helena Justina et ma mère eurent brusquement la même inspiration. Elles bâillèrent toutes les deux, tapotèrent l’épaule de mon vieux copain, m’ignorèrent et disparurent.
Petronius continua de boire en silence. L’atmosphère parut se détendre. C’est du moins l’impression que je ressentis. Nous nous connaissions depuis longtemps, lui et moi. Nous étions restés amis pendant toute notre carrière militaire. (Carrière plutôt courte : nous nous étions mutuellement fourni de fausses raisons pour y mettre un terme.) Mais nous étions postés dans l’île de Bretagne. Au plus fort de l’action. Impossible de l’oublier.
— Alors, ce voyage en Germanie, Falco ?
Je lui en touchai deux ou trois mots, mais gardai le plus intéressant pour une autre fois. En cet instant, son esprit était visiblement réfractaire aux anecdotes. Le seul but d’endurer les mésaventures d’un voyage et les difficultés de traiter avec des étrangers était pourtant d’en parler ensuite avec les amis, non ?
— La Gaule m’a paru aussi épouvantable que dans notre souvenir.
— Quand es-tu arrivé à Rome ?
— Avant-hier.
— Et tu n’as pas trouvé le temps de venir me voir ? Tu étais occupé ?
— Pas spécialement.
— Moi, j’ai essayé de te trouver, ce matin.
— Lenia me l’a dit.
— Alors où étais-tu passé ?
Quand Petro avait un sujet en tête, il n’en démordait pas.
— Je te l’ai déjà dit. Nulle part en particulier ! (Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire.) Écoute, espèce de fouinard, cette conversation m’a l’air de prendre une curieuse tournure. Si j’étais un brave touriste provincial appréhendé sur la via Ostiana, j’aurais peur que tu demandes à voir mon certificat de citoyenneté sous peine d’aller passer quelques heures dans ta geôle… À quoi tu joues, Petro ?
— Je me demande où tu étais ce matin.
Je souriais encore.
— Par Jupiter ! J’ai l’impression que je dois peser ma réponse. J’espère que tu ne vas pas me demander de fournir un alibi.
— Réponds-moi, insista-t-il.
— J’ai baguenaudé. Que voulais-tu que je fasse d’autre ? Je viens de rentrer à la maison après un long voyage à l’étranger. Normal que j’aspire à arpenter les rues de Rome, tu ne trouves pas ?
— Qui t’a vu ? demanda-t-il calmement.
Ce fut à ce moment-là que je compris que l’inquisition était sérieuse.
— Il se passe quoi, Petro ?
Je me rendis compte que ma propre voix avait baissé de plusieurs tons.
— Réponds à ma question.
— Je refuse de répondre à un véritable interrogatoire, même mené par toi, sans savoir où tu veux en venir.
— C’est mieux que tu me répondes d’abord.
— Va te faire voir !
— Pas question ! (Il commençait à céder à l’énervement.) Écoute, Falco, tu m’as placé entre Charybde et Scylla, dans une embarcation très fragile. J’essaye de t’aider, ça devrait te crever les yeux. Alors dis-moi où tu te trouvais ce matin et que ce soit crédible. Il faut que ta déclaration puisse aussi satisfaire Marponius.
Marponius jugeait les affaires criminelles, et sa juridiction s’étendait sur l’Aventin. Il s’agissait d’un pauvre idiot qui faisait l’important, et Petro le détestait cordialement. (Comme tout
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