L'Orient à feu et à sang
pointe, deux autres sur les ailes et un à l’arrière-garde. Ballista ne tenait pas à être pris par surprise. Il mènerait la marche avec Maximus, Romulus et Demetrius. Les deux scribes et les deux messagers suivraient, puis les cinq serviteurs et les cinq chevaux de bât. Les cinq autres equites singulares fermeraient la marche. Progressant en formation telle une armée miniature, éclaireurs devant et train d’équipage au milieu, la troupe était prête à toute éventualité – non pas que l’on s’attendît à une quelconque anicroche.
Il s’agissait d’une simple tournée d’inspection. Le petit fort de Castellum Arabum, où étaient cantonnés vingt dromedarii de la Cohors XX, était situé au sud-est, à une trentaine de milles à vol d’oiseau et à quelque quarante-cinq par la route. Castellum Arabum était l’avant-poste romain le plus au sud sur l’Euphrate. Le fil-piège qui une fois déclenché avertirait de la venue des Sassanides. Aucun ennemi n’avait été aperçu jusqu’à maintenant. Les experts locaux avaient assuré Ballista qu’il faudrait du temps aux Perses pour rassembler leurs forces au printemps : ils ne viendraient pas avant avril, lorsqu’il y aurait de l’herbe en abondance pour leurs chevaux et plus de risque que la pluie vînt pourrir la corde de leurs arcs. Aucune rencontre hostile n’était donc à prévoir pendant ce voyage : deux jours à l’aller, une journée pour inspecter les défenses et exhorter les dromedarii , et deux jours pour le retour.
Tandis que les deux equites singulares allaient prendre position en pointe, Ballista se retourna pour regarder Arété. Les terrassiers étaient toujours à la tâche, recouvrant méthodiquement de terre, gravats et couches de roseaux la surface du grand glacis qui, pour l’essentiel, était déjà fini. Les cinq cents pas qui l’en séparaient se réduisaient maintenant à un terrain vague. Les petits tas de briques et de rochers cassés, éparpillés ça et là étaient tout ce qui restait des tombes monumentales de la nécropole.
Observant le terrain vague qu’il avait créé, Ballista se demandait ce qu’il devait en penser. Un bon Romain méditerait probablement sur une question comme l’immutabilité du destin. À sa surprise, le sentiment qui dominait chez lui, plutôt que la pitié ou la culpabilité, était la fierté : « Moi, Ballista, fils d’Isangrim, j’ai fait cela – contemplez mon œuvre et tremblez ! » Il sourit : tout le monde savait que les Barbares aimaient détruire pour le plaisir de détruire. Et peut-être n’étaient-ils pas les seuls. Un fragment de La vie d’Agricola, de Tacite, lui revint en mémoire : « Rome crée un désert et le nomme la paix. » Tacite avait placé ces mots dans la bouche d’un chef calédonien nommé Calgacus. Le sens de l’humour n’avait pas déserté Isangrim, lorsque toutes ces années auparavant, il avait donné ce nom à l’esclave calédonien qui veillerait sur son fils.
Les hommes de pointe avaient pris position. Ballista donna le signal d’avancer. La petite colonne se mit en route au pas vers le sud. La fraîcheur de la nuit s’effaçait devant le soleil du matin. La brume ne s’accrochait plus qu’au fond des ravins et à la surface du fleuve. Bientôt, il ferait chaud, du moins pour quelqu’un du Nord.
La route n’était pas pavée mais, créée par des milliers de caravanes, plutôt large et facile à suivre. La plupart du temps, elle restait sur le plateau, loin du fleuve. Parfois, elle s’en écartait beaucoup pour contourner les ravins qui jalonnaient son cours ; en d’autres endroits, elle descendait dans ces oueds encaissés pour remonter le versant opposé ou suivait la plaine inondable jusqu’à ce que la pente lui permît de remonter sur le plateau.
Ils s’arrêtèrent pour déjeuner au bord du fleuve, à l’ombre d’un bosquet de palmiers dattiers sauvages. On y était au calme, sous les frondaisons tamisant la lumière du soleil, bercé par le murmure du fleuve. Ballista avait ordonné aux éclaireurs de monter la garde au-dessus d’eux sur le plateau. Après avoir mangé le déjeuner que Calgacus lui avait préparé – du faisan froid, du pain et du fromage – il s’allongea sur le dos et ferma les yeux.
Il faisait bon être à la campagne, un peu courbaturé et fatigué après une matinée passée en selle, loin de l’énervement constant et de l’effervescence présidant à l’organisation
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