L'Orient à feu et à sang
triviale que le moissonnage d’un champ de maïs ? Il fut pris de fou rire. Cela devait être parce qu’ils étaient des Barbares ; un Angle, un Hibernien et un Batave. Il mordit dans son oignon pour s’arrêter de rire.
Arété était dans l’œil du cyclone. Cette ville isolée, jusqu’alors insignifiante, avait été choisie par les dieux pour devenir le dernier foyer de la guerre éternelle entre l’Est et l’Ouest. Le conflit durait depuis toujours, les plus anciennes chroniques en témoignaient. D’abord, les Phéniciens avaient enlevé Io, et les Grecs, en retour, avaient ravi l’Europe puis Médée. Après l’enlèvement d’Hélène par les Troyens, on était passé du rapt de filles à l’affrontement armé. Les Achéens incendièrent Troie, les Perses incendièrent Athènes et Alexandre incendia Persépolis. À Carrhes [75] , le sable du désert devint rouge, du sang des légions de Crassus. Les cadavres abandonnés de Romains jalonnèrent la retraite de Médie de Marc Antoine. Jules César mourut à la veille d’une nouvelle guerre de représailles. À maintes reprises, sous les règnes de Trajan, de Lucius Verus et de Septime Sévère, on mena des guerres de représailles. Puis, vinrent les Sassanides et l’Orient riposta. Des milliers de Romains trouvèrent la mort à Misikhè et à Barbalissos. Antioche, la métropole syrienne, et tant d’autres villes brûlèrent, en cette époque troublée. Orient contre Occident, un conflit qui ne cesserait jamais.
Arété était l’épicentre d’une guerre aux proportions cosmiques, d’un affrontement sans fin des civilisations, d’une lutte éternelle entre les dieux. Toute la puissance de l’Orient se lançait à l’assaut d’un bastion de l’Occident et là, la Rome éternelle – l’ humanitas, comme diraient certains, parée de tous ses arts et de sa philosophie – était défendue par trois Barbares mangeant du pain et du fromage. L’arrivée soudaine d’un soldat mit fin aux réflexions de Demetrius.
Le messager interrompit aussi les délicieuses rêveries de Maximus, lequel s’était désintéressé depuis quelque temps déjà des subtiles considérations balistiques. Son esprit était tout entier tourné vers cette nouvelle fille de la taverne Le Cratère : des mamelons semblables aux pouces d’un cordonnier aveugle, un joli petit delta effilé, pas farouche pour un sou. Les filles étaient drôles parfois : quelle que soit la forme de leurs mamelons, elles voulaient toujours qu’ils fussent différents. La fille du Cratère, avec ses aréoles brunes, grosses comme des assiettes à soupe, disait qu’elle aurait préféré en avoir de petits. Celle de la taverne au nord de la ville, qui les avait petits, roses et délicats, aurait voulu en avoir de plus gros. Maximus n’était pas regardant ; elles étaient toutes deux des blondes bien bâties et pleines d’entrain. Il ferait bon les voir ensemble.
Le messager s’efforçait de saluer, tout en restant plié en deux. Ballista et Antigonus, sans se lever, le saluèrent en retour. En sa qualité d’esclave plutôt que de soldat, Maximus se réjouit de ne pas avoir à en faire autant.
— Bonne nouvelle, Dominus.
Répondant à l’invite de Ballista, le soldat s’assit avec soulagement.
— L’attaque de la muraille sud par les Barbares a été repoussée. Il y avait environ cinq mille de ces reptiles. Ils se sont regroupés sur le plateau, hors de portée. Lorsqu’ils ont commencé à descendre dans le ravin, nous avions déjà braqué sur eux dix balistes. Ils étaient déjà bien secoués quand ils se sont mis à escalader notre versant. Et lorsque les archers de Iarhai et d’Ogelos ont commencé à tirer et que nous leur avons fait tomber dessus ces putains de gros rochers que vous nous aviez fait mettre sur les remparts, ça a été la débandade : ils se sont débinés comme les vrais Orientaux qu’ils sont – pas de cran, pas de couilles.
La menace devant la muraille sud était en fait complètement sortie de la tête de Maximus qui, tel un enfant, ne se souciait que du moment présent. Mais c’était une bonne nouvelle : les choses allaient bien assez mal comme ça, de ce côté-ci.
Ballista remercia le messager et le renvoya avec l’ordre à Iarhai de faire venir trois cents de ses archers sur le mur ouest, en face du désert.
Les sonneries de buccin et les battements de tambour retentirent à travers la plaine. Les chefs sassanides hurlaient
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