L'Orient à feu et à sang
ce petit homme insignifiant à la démarche efféminée. Pourtant, il semblait maintenant être fidèle à sa lignée : en cette époque troublée, Émèse ne pouvait consacrer aucune troupe à la défense d’Arété, une ville lointaine et dont le sort était probablement déjà scellé, mais les vaillants hommes d’Émèse seraient toujours prêts à répondre à l’appel d’Élagabal et à combattre pour une juste cause avec un bon espoir de succès. Il y avait eu, dans le message du dieu à Ballista, de vagues allusions, mais à peine voilées, à une révolution – « Le monde ordonné deviendra désordonné… Un reptile à la peau sombre… se déchaîne contre les Romains… une chèvre marchant de côté… » – probablement liée à une traîtrise, même si le caractère abstrus du langage prophétique était sujet à interprétation.
Le reptile était vraisemblablement le roi des Perses. Quant à la chèvre, désignait-elle Ballista lui-même ? Ils auraient pu trouver un animal plus impressionnant, un lion ou un sanglier, par exemple. Peu importait. Il écrirait aux empereurs et leur ferait part de ses soupçons. Malgré les insinuations de Sampsigeramus, Ballista doutait qu’ils pensassent qu’il était déjà impliqué.
Le Père-de-Tout seul savait le genre de chaos qu’ils allaient trouver à la porte de la Palmyrène. La veille, Ballista avait donné son accord pour qu’une caravane appartenant à un marchand d’Arété les accompagnât dans leur voyage. Turpio l’y avait exhorté. Le marchand, Iarhai, était l’un des hommes les plus influents d’Arété. Il aurait été déraisonnable de l’offenser (ce bâtard de Turpio avait-il reçu un pot-de-vin ?). La décision éviterait certes un affront, mais elle causerait presque certainement la confusion ainsi que du retard, avec tous ces chameaux, chevaux et civils éparpillés sur la route.
Le ciel avait pris une délicate teinte rose. L’aurore éclairait par en-dessous les quelques nuages. Mamurra se tenait au milieu de la route et attendait.
— Comment vont les choses, Prœfectus ?
— Bien, Dominus. Nous sommes prêts à prendre la route.
Mamurra avait l’air de vouloir ajouter quelque chose. Ballista attendit, mais rien ne se passa.
— Qu’y a-t-il, Prœfectus ?
— C’est la caravane, Dominus. (Mamurra semblait troublé.) Ce ne sont pas des marchands, mais des soldats.
— De quelle unité ?
— Ils ne font pas partie d’une unité. Ce sont des mercenaires – de l’armée privée de cet homme, Iarhai. (Mamurra paraissait décontenancé.) Turpio… il a dit qu’il vous expliquerait.
Singulièrement, Turpio semblait un peu moins sur la défensive que d’habitude. On discernait même l’esquisse d’un sourire sur son visage.
— C’est tout à fait légal, dit-il. Tous les gouverneurs de Syrie l’ont autorisé. Les hommes influents d’Arété ont conquis leur position en protégeant les caravanes dans leurs traversées des déserts. Ils engagent des mercenaires.
Il était peu probable que le centurion se permît de mentir ouvertement.
— Je n’ai jamais entendu parler de ça, ou de quelque chose de semblable, dit Ballista.
— C’est ainsi que les choses se passent à Palmyre aussi. Cela fait partie de ce qui rend ces deux villes si différentes. (Turpio souriait.) Je suis sûr qu’Iarhai vous expliquera mieux que moi ce qu’il en est. Il vous attend en tête de la colonne. J’ai convaincu Mamurra qu’il valait mieux que les hommes d’Iarhai ouvrent la voie. Ils connaissent bien les routes du désert.
Turpio et Mamurra montèrent en selle et encadrèrent Ballista. Il partit au petit trot, suivi de près par son garde du corps et son secrétaire. Le draco blanc flottait au-dessus de leurs têtes. Ballista fulminait.
À leur passage, les hommes de la Cohors XX criaient à leur adresse le genre de bons vœux que l’on forme habituellement au début d’un voyage. Ballista était trop furieux pour répondre autrement que par un sourire forcé et un signe de la main.
Les mercenaires se tenaient cois. Ballista les observait du coin de l’œil. Ils étaient nombreux, alignés en colonnes par deux, probablement une bonne centaine en tout. Leur commandement n’avait pas tenté de leur imposer une quelconque uniformité. Leurs vêtements délavés par le soleil étaient de couleurs différentes. Certains portaient un casque, pointu à l’orientale ou romain, d’autres allaient
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