L'Orient à feu et à sang
Syrie ? On lui avait toujours dit que les Syriens manquaient de courage au combat, et la chute des villes biens fortifiées de Séleucie et d’Antioche semblait le confirmer. Pourtant, s’entendre dire pendant des générations qu’ils étaient des lâches pouvait bien avoir eu l’effet inverse. Le cliché modelait peut-être la réalité plus qu’il ne la reflétait. Et qu’en était-il des royaumes-satellites d’Émèse et de Palmyre ? Leurs rois se sentiraient-ils assez romains pour céder à Ballista les troupes qu’on lui avait ordonné de réquisitionner ?
La perspective de la difficile tâche de solliciter des troupes redonna à ses pensées un cours désormais familier : pourquoi ne lui avait-on pas confié des troupes romaines pour qu’il les mène vers l’est ? N’importe qui pouvait voir que les deux unités d’Arété étaient totalement inadéquates. Pourquoi l’avait-on choisi, lui qui n’avait aucune expérience de l’Orient, pour défendre ces avant-postes ?
Des préoccupations humaines aux surnaturelles, le pas était aisé à franchir pour qui avait été élevé dans les forêts et les fens de nord de la Germanie. Pourquoi le fantôme du grand type l’avait-il visité à nouveau ? Ce n’était pas arrivé depuis deux ou trois ans. Qu’importe, il avait affronté ce salaud à de nombreuses reprises, une fois lorsque Maximin était encore vivant, et bien souvent depuis qu’il l’avait tué. Le présage des corbeaux était très différent ; et bien pire. Aucun mortel ne pouvait l’emporter sur l’Encapuchonné, le Borgne, Odin le Père-de-Tout.
Pour chasser ces mauvaises pensées, Ballista talonna son hongre gris et le mit en position pour sauter par-dessus le fossé à gauche de la route. Le cheval le franchit facilement. Dans un cri qui allait s’amplifiant, et qui n’était pas sans rappeler le barritus de sa tribu, Ballista poussa sa monture dans un galop effréné à travers champs.
« Émèse est tout à fait mon genre de ville », pensa Maximus. « Une fois acquittées les obligations religieuses, on peut labourer le champ. » Il ne recherchait pas n’importe quel champ, il le lui fallait jeune et exotique, avec un peu de chance, la fille d’un des nobles du coin. Dans tous les cas, une vierge, totalement inconnue de lui.
Dans cette région, la coutume voulait que toutes les filles se rendissent au temple avant leur mariage. Là, la plupart d’entre elles, le front ceint d’une ficelle tressée, s’asseyaient dans l’enclos sacré. Chacune devait attendre qu’un des hommes flânant le long des allées balisées jetât sur ses genoux une pièce d’argent. Alors elle se rendait dehors avec lui, qui fût-il, riche ou pauvre, beau ou laid, et le laissait prendre sa virginité.
Bien sûr, cela devait être dur pour certaines des filles (les plus disgracieuses devaient probablement rester là par tous les temps pendant des années), mais dans l’ensemble, l’idée semblait excellente à Maximus. La question du « dehors » le rendait quelque peu perplexe : n’étaient-ils pas déjà dehors ? Fallait-t-il prendre une chambre à proximité ? Ou voulait-on dire contre un mur, dans une ruelle sombre ? Depuis sa mésaventure à Massilia, ce genre de chose ne lui seyait guère.
Cependant, cet aspect n’était pas ce qui frappait le plus son imagination. Bien qu’elles ne pussent se soustraire aux exigences de leurs dieux, les filles de la noblesse ne devaient pas se mélanger aux filles de porchers (même s’il ne s’agissait pas en fait de porchers, puisqu’il semblait que ces gens ne mangeassent pas de porc). Elles étaient peut-être obligées d’avoir des rapports sexuels avec de parfaits inconnus, il n’en restait pas moins que certaines barrières sociales devaient être maintenues. Entourées de leurs serviteurs, les filles de riches étaient conduites au temple dans des carrosses fermés et c’était là, à l’intérieur, qu’elles attendaient. Maximus se délectait de cette pensée.
Il avait même hâte d’assister aux cérémonies religieuses. On disait qu’ils avaient le sens du spectacle, ces Syriens – ou ces Phéniciens ou Assyriens, il ne savait au juste. À la vérité, il était bien malaisé de dire ce qu’étaient les habitants de la ville d’Émèse. De toute façon, quelle que fût leur origine, ils étaient connus pour les cérémonies élaborées qu’ils donnaient en l’honneur de leur divinité solaire,
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