L'Orient à feu et à sang
filets. Venez, cher prœfectus, allons voir derrière les paravents, je les débusquerai. Dommage qu’il nous faille payer plein tarif.
Il s’éloigna, content d’avoir pu lancer cette pique à Demetrius. Ces précieux sanctuaires grecs étaient en tous points semblables à ceux d’une bande de Syriens ou autres, allez savoir au juste d’où venaient les habitants d’Émèse.
Une nouvelle aube, un nouveau départ. Ballista se tenait à côté de son cheval : un hongre gris de quatre ans dont la robe, à part quelques pommelures sur l’arrière-train, était blanche. Ses attaches étaient plus fines que celles des précédentes montures de Ballista, mais il semblait robuste. Il faisait preuve d’un bon mélange de fougue et de docilité ; ce qui lui manquait en vitesse, il le compensait en endurance. Et il avait le pied extrêmement sûr. Ballista en était très content ; il l’appellerait Cheval Pâle.
L’homme et son cheval tressaillirent lorsque que les portes s’ouvrirent à la volée et que la lumière orange des torches inonda la cour du palais. Derrière eux, on entendit un juron étouffé et un raclement de sabots sur le dallage.
Sampsigeramus apparut, s’avançant de son petit pas pressé et maniéré. Il s’arrêta en haut des marches. Ballista tendit ses reines à Maximus et monta l’escalier pour le rejoindre.
— Au revoir, Marcus Clodius Ballista, Vir Egregius, Chevalier de Rome, Dux Ripæ, Commandeur des rives. Merci d’avoir honoré ma demeure de votre présence.
« Odieuse petite tante, je parie que ton cul est aussi large qu’une citerne », pensa Ballista.
— Au revoir, Marcus Julius Sampsigeramus, prêtre d’Elagabal, roi d’Émèse. Tout l’honneur est pour moi, dit-il à voix haute.
Il se pencha en avant et, affectant l’ingénuité, ajouta :
— Je n’oublierai pas le message que le dieu m’a transmis, mais n’en parlerai à personne.
— Élagabal, Sol Invictus, le Soleil Invaincu, ne se trompe jamais.
Ballista, accompagnant sa volte-face d’un mouvement théâtral de sa cape, dévala les marches deux à deux et sauta sur son cheval. Il tourna bride, salua sèchement et sortit de la cour.
Pas de troupes. Le roi d’Émèse ne fournirait aucune troupe pour combattre les Perses. Un refus sans ambiguïté, suivi de vagues allusions à la possibilité que des troupes soient rendues disponibles à d’autres fins. Tandis qu’il s’éloignait au petit trot vers la porte en compagnie de sa suite, il pensait aux raisons qui avaient conduit Émèse à devenir un foyer de révolte. Pendant des siècles elle n’avait pas troublé l’histoire, c’était à se demander si elle avait vraiment existé. Aujourd’hui, en l’espace d’une génération à peine, elle avait produit une série de prétendants au titre impérial. Il y avait eu tout d’abord ce jeune pervers connu de tous sous le nom de son dieu, Élagabal (on l’avait supprimé, enfoncé dans un égout, à Rome, l’année ou Ballista était né). Puis, quelques années auparavant, Iotapianus (qui fut décapité) et, seulement l’année passée, Uranius Antoninus que l’on avait emmené enchaîné à la cour impériale.
Cela pouvait être l’argent. La demande sans cesse croissante des Romains pour les produits de luxe avait grandement développé le commerce en provenance de l’est. Émèse était située sur la meilleure route commerciale : l’Inde jusqu’au golfe Persique, les rives de l’Euphrate jusqu’à Arété, à travers le désert via Palmyre jusqu’à Émèse et de là vers l’ouest. Cela pouvait être le hasard. Une femme de la famille des prêtres-rois avait épousé un sénateur nommé Septime Sévère, lequel était plus tard devenu empereur, contre toute attente. Les fils de cette femme avaient hérité du trône. Une fois qu’une ville a produit deux ou trois empereurs, elle s’attend à en produire d’autres. Cela pouvait être les déficiences des Romains. Lorsque Rome n’avait plus été capable de la protéger des Perses, la riche et confiante ville d’Émèse, aimée de dieu, avait dû pourvoir elle-même à son salut.
Les prétendants étaient tous issus de différentes branches de la même famille de prêtres-rois. On comprenait bien pourquoi les empereurs avaient choisi d’élever ce Sampsigeramus à la dignité de roi d’Émèse : si quelqu’un dans cette famille étendue de prêtres turbulents ne devait causer aucun problème, c’était bien
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