L'Orient à feu et à sang
vingt-cinq pas à droite de la cible.
— Quelle fréquence de tir pouvez-vous maintenir ?
L’artilleur n’essaya pas de répondre à la question de Ballista, mais regarda Acilius Glabrio d’un air désemparé. Ce dernier, pour une fois, semblait embarrassé.
— Je ne peux pas le dire. Le précédent Dux Ripæ n’encourageait pas les tirs d’entraînement ; en fait, il les interdisait formellement. Il disait que c’était un gâchis de précieuses munitions, un danger pour les passants et que cela pourrait endommager les tombes dans la plaine. Mes hommes n’ont jamais eu l’autorisation de tirer.
— Combien de chefs de pièces avons-nous ?
— Deux dans chaque centurie, tout juste vingt-quatre en tout, répondit Acilius Glabrio stoïquement.
Ballista sourit.
— Tout cela va changer.
Le petit groupe, auquel s’était greffé Acilius Glabrio, se dirigea vers le sud pour la tournée d’inspection. Ils s’arrêtèrent pour examiner les murs, les deux architectes en tête. Construite directement sur le substrat rocheux, la muraille crénelée était haute d’environ trente-cinq pieds. Elle était épaisse, avec des chemins de ronde d’environ cinq pas de large. Les tours s’élevaient à quelque dix pieds au-dessus d’elle, et formaient une avancée à la fois devant et derrière. Elles étaient aussi crénelées sur les côtés afin de défendre le chemin de ronde au cas où l’ennemi parviendrait à escalader les murs.
Les architectes locaux étaient unanimes à assurer leur auditoire que les murs étaient en bon état ; il n’y en avait probablement pas de meilleurs dans tout l’empire, aucun mur ne pouvait procurer meilleur abri.
Ballista les remercia. Une centurie de la Cohors XX entrant sur le terrain d’exercices attira son regard. Turpio prenait ses ordres au sérieux. Il reporta son attention sur la muraille.
— Les murs sont bons, mais ils ne suffisent pas. Il nous faut creuser un fossé devant la muraille ouest pour tenir à distance les béliers ou les tours de siège.
Il jeta un coup d’œil sur Demetrius qui prenait déjà des notes.
— Les déblais du fossé pourront servir à former le glacis, le talus dont nous avons besoin pour protéger les murs des béliers et de l’artillerie.
Ballista réfléchit à la manière dont il allait formuler la suite.
— S’il y a un glacis, il faut qu’il y ait un contre-glacis de l’autre côté du mur. Autrement, le poids du talus à l’extérieur fera s’effondrer le mur.
Il regarda les architectes qui approuvèrent tous deux de la tête. L’un deux regarda par-dessus le mur, s’efforçant de se figurer le fossé et le glacis.
— Le fossé devra être extrêmement profond pour fournir assez de déblais pour un seul talus, sans parler de deux, dit-il. Et je ne vois pas en quel autre endroit nous pourrions trouver la terre nécessaire pour les mettre en place.
— Ne t’inquiète pas pour ça. (Ballista eut un sourire énigmatique.) J’ai mon idée.
Le lendemain, en milieu d’après-midi, Ballista terminait son inspection par une longue visite du magasin d’artillerie, un grand complexe, dans le périmètre dégagé au sud du palais, où de nouveaux engins étaient construits et les anciens réparés, où l’on entreposait les pièces détachées et où l’on fabriquait les projectiles – tailler les pierres jusqu’à ce qu’elles eussent le bon poids et une forme presque parfaitement circulaire, forger les pointes meurtrières des traits et les fixer sur leurs hampes de bois.
Alors seulement, Demetrius trouva le temps de se livrer à sa coupable et secrète passion : l’oniromancie, la divination par les rêves. Il sortit en cachette dans la rue en empruntant la porte de service. Le plan en damier de la ville et la lumière du jour auraient dû lui faciliter les choses, mais le jeune Grec trouva le moyen de se perdre en chemin avant de distinguer l’agora, distante de quatre pâtés de maisons seulement.
Elle était étonnamment petite pour une ville de cette taille, et Demetrius trouva facilement ce qu’il cherchait : un oniromancien. Il était assis dans le coin le plus éloigné, à côté de l’entrée de la ruelle où les prostituées faisaient le pied de grue. Malgré le vent froid, il ne portait qu’une cape en lambeaux et un pagne. Ses yeux laiteux étaient tournés vers le haut et regardaient dans le vague. Sur son cou émacié, les veines saillaient, palpitant sous la peau
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