L'Orient à feu et à sang
presque translucide. Tout à fait le physique du rôle, en somme.
Au bruit des pas de Demetrius, les yeux blancs inquiétants se tournèrent dans sa direction.
— Tu as fait un rêve qui pourrait révéler l’avenir, dit le vieil homme en Grec dans un croassement rauque.
L’oniromancien lui demanda trois antoniniani pour en dévoiler le sens, et finit par transiger à un.
— D’abord, j’ai besoin de te connaître. Quel est ton nom, celui de ton père, ta ville natale ?
— Dio, fils de Pasicrates de Prusa, mentit Demetrius.
Il utilisait toujours le même nom, ce qui lui permettait de mentir avec aisance.
Le vieillard pencha la tête sur le côté comme s’il s’apprêtait à faire un commentaire, mais sembla se raviser. Au lieu de cela, il égrena d’une voix criarde une série de questions supplémentaires :
— Esclave ou homme libre ? Profession ? Situation financière ? État de santé ? Âge ?
— Je suis un esclave, un secrétaire. J’ai quelques économies. Ma santé est bonne. J’ai dix-neuf ans, répondit Demetrius honnêtement.
— Quand as-tu fait ce rêve ?
— Il y a six nuits, répondit Demetrius en comptant la nuit dernière comme tout le monde le faisait.
— À quelle heure de la nuit ?
— La onzième heure d’obscurité. Les effets du vin bu la veille s’étaient dissipés depuis longtemps. C’était bien après minuit, lorsque la porte d’ivoire par laquelle les dieux nous envoient les faux rêves se ferme et que la porte de corne par laquelle passent les vrais rêves s’ouvre.
L’aveugle hocha la tête.
— Maintenant, raconte-moi ton rêve. Tu dois me dire la vérité. Ne rien ajouter, ne rien omettre. Sinon, la prophétie sera fausse. Cela ne sera pas ma faute, mais la tienne.
Demetrius acquiesça à son tour. Lorsqu’il eut fini de raconter son rêve, l’oniromancien leva la main pour demander le silence. Elle tremblait légèrement et était constellée de taches de vieillesse. Le temps s’écoulait, l’agora se vidait rapidement.
Soudain, le vieil homme commença à parler.
— Il n’y a pas de vautours mâles ; ce sont tous des femelles. Elles sont fécondées par le souffle du vent d’est. Comme les vautours n’éprouvent pas la frénésie du désir sexuel, elles sont calmes et loyales. En rêve, elles signifient la vérité, la certitude de la prophétie. C’est un rêve envoyé par les dieux.
Il marqua une pause avant de demander :
— Ton kyrios habite-t-il l’agora ?
S’entendant répondre par la négative, le vieil homme poussa un soupir.
— Dommage. Une agora pleine de monde aurait été un bon présage, mais dans ces conditions…
Il haussa les épaules.
— Ce n’est pas bon. C’est un symbole de confusion et de tumulte à cause de tous ces gens qui s’y pressent. Il y a des Grecs, des Romains, des Barbares. Tous causeront et éprouveront la confusion et le tumulte.
— Et au centre, il y a la statue.
Il grimaça légèrement, comme si quelque chose le faisait souffrir.
— Est-ce que la statue bougeait ?
Demetrius murmura qu’il ne le croyait pas. La main osseuse du vieillard agrippa brusquement le bras du jeune homme, le serrant fortement.
— Réfléchis ! Réfléchis bien. C’est de la plus haute importance.
— Non. Non, je suis certain qu’elle ne bougeait pas.
Un filet de salive s’échappait des lèvres de l’oniromancien.
— La statue était en or. Si ton kyrios avait été pauvre, cela aurait indiqué de futures richesses, mais il ne l’est pas. C’est un homme riche et puissant. La statue en or veut dire qu’il sera entouré de traîtrises et de complots car tout dans l’or aiguillonne les conspirateurs.
Sans prévenir, le vieil homme se leva. Il était étonnamment grand. De sa voix rauque, il déclara péremptoirement que la séance était terminée. Il était désolé que la prophétie n’eût pas été meilleure. Il se dirigea vers l’allée en traînant les pieds.
— Attends ! cria Demetrius. Attends. N’y a-t-il pas autre chose ? Quelque chose que tu ne me dis pas ?
Le vieil homme se retourna au coin de l’allée.
— La statue était-elle plus grande que nature ?
— Je n’en suis pas sûr. Je… je ne le pense pas.
Le vieil homme eut un rire sinistre.
— Il faut espérer que tu aies raison, mon garçon. Car si elle était plus grande que nature, cela veut dire la mort pour ton cher kyrios Ballista.
Une fois encore, les événements se
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