L'Orient à feu et à sang
lorsqu’il pensait à lui : ses boucles blondes, si inattendues compte tenu des cheveux noirs de sa mère, ses yeux bleu-vert, la courbe délicate de ses pommettes, le dessin si parfait de sa bouche.
« Père-de-Tout, j’aimerais tant rentrer chez moi ! » À peine eut-il formé le vœu qu’il le regretta. Comme la nuit succédant au jour, la pensée insidieuse se fraya un chemin dans son esprit : « Chez moi ? Mais où donc est-ce ? » En Sicile ? La villa de brique aux incrustations de marbre en haut de la colline de Tauromenium [56] ? Cette élégante maison de ville, aux balcons et jardins donnant sur la Baie de Naxos [57] et le sommet fumant du Mont-Etna, qu’ils avaient aménagée et habitée avec Julia pendant ces quatre dernières années ? Ou était-ce bien plus loin au nord ? La grande maison longue au toit de chaume, aux murs en clayonnage recouverts de plâtre peint. La maison de son père, bâtie sur une hauteur, juste derrière les dunes de sable et les marais du littoral où les pluviers gris barbotaient et les pies de mer poussaient leur clip-clip à travers les roseaux.
Un homme d’âge mûr, vêtu d’une simple tunique et tenant une tablette à écrire, tourna au coin de la rue des Remparts. Lorsqu’il vit Ballista qui attendait, il se mit à courir.
— Kyrios, je suis navré d’être en retard.
Ballista époussetait ses vêtements.
— Tu n’es pas en retard. Nous étions en avance. Ne t’en fais pas.
— Merci Kyrios, vous êtes bien bon. Les conseillers m’ont dit que vous vouliez que l’on vous montre les propriétés de la rue des Remparts ?
Ballista acquiesça et l’esclave public désigna le temple sur les marches duquel il s’était assis.
— Voici le temple d’Aphlad, une divinité locale qui veille sur les caravanes de chameaux. L’intérieur en a récemment été repeint aux frais du noble Iarhai. (L’homme remontait la rue à reculons.) Le temple de Zeus, Kyrios. Nous devons sa nouvelle façade à la générosité du pieux Anamu. (Ils atteignirent le pâté de maisons suivant sans que l’esclave eût jamais tourné le dos à Ballista.) Des maisons privées, dont la belle demeure du conseiller Theodotus.
« Pauvre bougre », pensa Ballista. « Tu es l’esclave du conseil d’Arété. Tu appartiens à ces gens qui ne connaissent probablement même pas ton nom et pourtant, tu es fier d’eux, de leurs maisons, des temples sur lesquels ils étalent leur richesse. Et cette fierté est la seule chose qui te donne un tant soit peu d’amour-propre. » Il contempla tristement la rue des Remparts. « Et moi, je vais te priver de tout cela. Dans un ou deux mois, avant les calendes de février, j’aurai tout détruit. Tout sera sacrifié pour construire le grand talus qui étayera les défenses d’Arété. »
Un légionnaire déboula au coin de la rue et s’arrêta dans une glissade lorsqu’il vit Ballista. Il esquissa un salut et essaya de parler, mais il était hors d’haleine et les mots ne sortaient pas. Il prit une grande goulée d’air.
— Un incendie. Le magasin d’artillerie est en feu.
Il pointa le doigt derrière son épaule gauche. Le fort vent de nord-est poussait un rideau d’épaisse fumée noire au-dessus des nombreux toits d’Arété. Il se dirigeait droit sur Ballista.
IX
Ballista courait à toutes jambes dans les rues qui se remplissaient d’une foule excitée. Maximus et Demetrius le talonnaient, se frayant un chemin dans la cohue. Le légionnaire déjà à bout de souffle fut bientôt distancé.
Lorsqu’ils arrivèrent devant le magasin d’artillerie, les poumons de Ballista étaient en feu, son bras gauche douloureux à force d’écarter de ses jambes le fourreau de sa longue spatha – et le bâtiment, la proie des flammes. Mamurra et Turpio étaient déjà sur place. Le fort vent de nord-est qui avait séché la terre gorgée d’eau attisait maintenant le brasier, le poussant implacablement en avant. Les flammes léchaient l’extérieur des fenêtres à barreaux et les auvents du toit. Des brandons montaient dans le ciel avant d’être emportés vers la ville, dangereusement proche. Turpio organisait une équipe afin de dégager un coupe-feu et d’asperger les maisons au sud-ouest. Mamurra avait constitué une chaîne pour sortir du matériel de l’entrepôt en flammes. Pour encourager les hommes, il se faisait un devoir de courir les mêmes risques qu’eux, entrant et sortant comme une flèche
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