L'Orient à feu et à sang
par la porte sud.
Ballista savait qu’il ne pouvait pas attendre de ses officiers qu’ils fissent ce qu’il refusait de faire. Il suivit Mamurra à l’intérieur du bâtiment. La chaleur était telle que le plâtre se décollait des murs tandis que sur les poutres, au-dessus de leurs têtes, la peinture bouillonnait, aspergeant les hommes de gouttelettes brûlantes. Il y avait peu de fumée dans la pièce, mais il ne fallait pas s’y fier. Le feu les encerclait subrepticement, courant sur le plafond, s’insinuant à leur insu dans les cavités des murs. Les poutres pouvaient céder d’un moment à l’autre et le toit s’écraser au sol, les emprisonnant, les étouffant, les brûlant vifs.
Ballista ordonna à tout le monde de sortir, criant pour se faire entendre par-dessus les terribles rugissements de l’incendie. Mamurra et lui ne s’enfuirent que lorsque le dernier légionnaire eut atteint le seuil.
Dehors, tous s’employèrent à mettre à l’abri sous le vent le matériel sauvé des flammes. Puis, ils regardèrent l’incendie se déchaîner. Le bâtiment ne s’effondra pas tout de suite. Parfois, le feu semblait s’apaiser avant de reprendre de plus belle, en une furie toujours plus destructrice. Puis il y eut un étrange grondement, et le toit céda dans un épouvantable fracas.
Ballista s’éveilla par une belle matinée fraîche et lumineuse. Enveloppé dans une peau de mouton, il regardait le soleil se lever sur la Mésopotamie. Le vaste ciel prit une délicate teinte rose ; les quelques lambeaux de nuages se changèrent en une frange argentée. Pourchassé par Skoll le loup, comme il le serait jusqu’à la fin des temps, le soleil apparut à l’horizon. Les premiers rayons dorés éclaboussèrent la terrasse du palais du Dux Ripæ et les remparts d’Arété. Au pied de la falaise, les appontements et les lits de roseaux murmurants demeuraient dans l’ombre bleu foncé.
Il n’avait dormi que quelques heures, mais d’un sommeil profond et réparateur. Il se sentait étonnamment rafraîchi et revigoré. Mais comment ne pas l’être par une si belle matinée, même après le désastre de la veille ?
Derrière lui, sur la terrasse, Ballista entendait Calgacus s’approcher. Aux toussotements sonores et à la respiration sibilante s’étaient greffés des bougonnements clairement audibles. D’une loyauté indéfectible, le vieux Calédonien se montrait très peu disert sur son dominus en public, au point de ne s’exprimer que par monosyllabes. Pourtant, lorsqu’il se trouvait seul avec lui, il se sentait autorisé, le connaissant depuis toujours, à dire ce qu’il voulait, comme s’il pensait tout haut – en général une suite de critiques et de récriminations :
— Le voilà avec une peau de mouton sur le dos maintenant… à regarder le lever de soleil… Encore un peu et il va se mettre à réciter un foutu poème.
Puis, avec la même intensité sonore, mais sur un ton différent :
— Bonjour, Dominus. Je t’ai apporté ton épée.
— Merci. Qu’étais-tu en train de dire ?
— Ton épée.
— Non, avant cela.
— Rien.
— Quelle belle matinée ! Cela me rappelle les poèmes de Bagoas. Tiens, en voici un en latin.
Réveille-toi ! Car le Matin dans la jatte de la Nuit
À jeté la pierre qui fait fuir les étoiles :
Regarde ! Le Chasseur de l’Orient a pris
dans ses rets de lumière
La tourelle du grand Roi.
— Qu’en penses-tu ? demanda Ballista en souriant.
— Très joli.
Les lèvres de Calgacus se pincèrent encore plus, son expression plus acerbe que jamais.
— Donne-moi cette peau de mouton. Ils t’attendent à la porte.
Ses grommellements – « ni l’endroit, ni le moment… pas ton père qu’on aurait pris à déclamer de la poésie au lever du soleil comme une donzelle enamourée… » – diminuèrent d’intensité tandis qu’il rentrait à l’intérieur du palais.
Ballista, accompagné de Maximus et Demetrius, se rendit à pied devant la carcasse calcinée de l’entrepôt. Mamurra était déjà sur place. Peut-être était-il resté là toute la nuit.
— Nous ferons ce qui nous est ordonné et nous nous tenons prêts.
Le Prœfectus fabrum le salua avec énergie. Son visage et ses avant-bras étaient noirs de suie.
— Comment vont les choses ?
— Pas bien, mais cela aurait pu être pire. Le bâtiment devra être démoli. Presque tous les traits d’artillerie ont brûlé. Toutes les pièces de
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