L'Orient à feu et à sang
brilla dans les yeux d’Acilius Glabrio tandis qu’il regardait Bagoas oindre Mamurra de baume et de cannelle et le coiffer d’une couronne de fleurs. Le jeune patricien se tourna vers Ballista, un petit sourire aux lèvres.
— Vous devez être félicité, Dux Ripæ, de suivre si fidèlement l’exemple du grand Scipion l’Africain.
— J’ignorais que je m’inspirais directement d’un quelconque aspect de l’illustre conduite du grand conquérant d’Hannibal.
Ballista parlait d’un ton enjoué, juste tempéré par un soupçon de réserve.
— Malheureusement, le dieu Neptune ne m’honore pas de ses visites nocturnes, mais au moins n’ai-je pas été poursuivi pour corruption.
Des rires polis saluèrent cet étalage d’érudition historique. Il était parfois aisé d’oublier que ce Barbare avait été éduqué à la cour impériale.
— Non, je parlais de votre garçon perse, ici.
Sans le regarder, Acilius le montra de la main. Il y eut un silence. Même le sophiste Callinicus ne trouvait rien à dire. Au bout d’un moment, Ballista demanda au patricien de les éclairer.
— Eh bien… votre garçon perse… (Le jeune noble prenait son temps, semblant se délecter.) Nul doute que des esprits graveleux fourniraient une explication révoltante à sa présence au sein de votre familia, mais je n’en fais pas partie. Je la mets simplement au compte d’une suprême confiance. Scipion, avant la bataille de Zama qui vit l’écrasement de Carthage, captura l’un des espions d’Hannibal qui rôdait dans le camp romain. Plutôt que de le tuer, comme c’est l’usage normalement, il ordonna qu’on lui montrât le camp, qu’on lui fît voir l’exercice des soldats, les engins de guerre, les magasins de l’armée. (Acilius Glabrio laissa ses paroles faire leur chemin.) Puis, il le libéra, l’envoyant faire son rapport à Hannibal, peut-être même lui donna-t-il un cheval afin qu’il arrivât plus vite.
— Appien ! (Callinicus ne se contenait plus.) Dans la version de cette anecdote contée par l’historien Appien, il y a trois espions.
Tout le monde ignora l’intervention du sophiste.
— Personne ne devrait prendre une telle confiance pour de la présomption, encore moins pour de l’arrogance ou de la stupidité.
Acilius Glabrio se rallongea en souriant.
— Je n’ai aucune raison de me défier d’un membre de ma familia. (L’orage couvait dans les yeux de Ballista.) Je n’ai aucune raison de me défier de Bagoas.
— Oh, je suis certain que vous avez raison.
Le jeune officier, le visage plus doucereux que jamais, reporta son attention sur l’assiette devant lui et y préleva délicatement une noix.
Le lendemain matin du malheureux dîner donné par le Dux Ripæ, le jeune Perse arpentait les remparts d’Arété. Il assouvissait en esprit sa soif de sanglante vengeance. Il ne se préoccupait pas du tout de la manière dont il recouvrerait la liberté ou retrouverait les bédouins qui avaient fait de lui un esclave, et encore moins de la façon dont il les réduirait en son pouvoir. Ils se tenaient déjà devant lui, désarmés – ou plutôt, ils se traînaient à genoux un par un, levant les mains dans l’attitude de la supplication. Ils déchiraient leurs vêtements, se versaient de la terre sur la tête, ils pleuraient, imploraient sa pitié. En vain. Le couteau en main, l’épée reposant encore sur sa hanche, il s’avançait. Ils lui offraient leurs femmes, leurs enfants, le suppliaient d’en faire des esclaves. Mais il se montrait implacable. Encore et encore, sa main gauche se saisissait de leurs barbes rêches et il tirait vers lui leurs visages terrifiés, leur expliquant ce qu’il allait faire et pourquoi. Il ignorait leurs sanglots, leurs ultimes suppliques. Le plus souvent, il tirait la barbe vers le haut pour exposer la gorge. Le couteau étincelait et le sang jaillissait, teignant d’un rouge ardent la poussière du désert. Mais pour ces trois-là, non. Pour les trois qui lui avaient fait subir ces choses, cela ne suffisait pas, c’était bien loin de suffire. La main soulevait la longue robe, saisissait les parties génitales ; le couteau étincelait et le sang jaillissait, teignant d’un rouge ardent la poussière du désert.
Il avait atteint la tour à l’angle nord-ouest des murs. Il avait parcouru les remparts depuis les environs du temple d’Azzanathcona, désormais le quartier général de la Cohors XX Palmyrenorum, unité mixte
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