Louis Napoléon le Grand
favoriser le rétablissement de la République, qui ne manquerait pas, elle, d'intervenir en Italie.
Voilà Louis Napoléon bien embarrassé. Passons sur le sentiment d'amertume, voire de rage, que peut lui inspirer une telle tentative... venant d'un camp pour lequel il a déjà pris bien des risques. Tant les morts du 14 janvier que leurs assassins sont politiquement encombrants : comment justifier une intervention en faveur de gens qui s'en sont pris à votre vie et qui suscitent la réprobation générale? La cause italienne a pris un coup dans l'aile, et l'affaire paraît mal enclenchée.
Dans l'immédiat, comme il faut bien faire quelque chose, Louis Napoléon laisse organiser tout un dispositif répressif, au demeurant aveugle, qui donne du moins à penser aux honnêtes gens qu'on n'entend pas se laisser faire. A sa tête, le général Espinasse, jusqu'en juin, fait l'affaire. Mais sur le fond, comment s'en sortir?
Paradoxalement, c'est d'Orsini lui-même, le chef des conjurés, que va venir la solution. A-t-il compris son erreur? A-t-il été informé de la détermination de Louis Napoléon et de la nécessité de l'aider? Pietri, le préfet de police, bonapartiste de gauche, a-t-il joué le rôle d'entremetteur qu'on lui a prêté? Toujours est-il que, du jour au lendemain, Orsini, qui voulait exterminer Louis Napoléon, en fait, subitement et publiquement, le suprême espoir de l'Italie et l'arbitre de sa cause.
Il adresse à l'empereur, coup sur coup, deux lettres que Jules Favre, son avocat, va rendre publiques, avec, à coup sûr, l'assentiment officiel:
« J'adjure Votre Majesté, écrit-il, de rendre à l'Italie l'indépendance que ses enfants ont perdue en 1849 par la faute même des Français. Qu'elle se rappelle que, tant que l'Italie ne sera pas indépendante, la tranquillité de l'Europe et celle de votre Majesté ne seront qu'une chimère. »
Ou encore:
« Prince, les racines de votre pouvoir tiennent à une souche révolutionnaire; soyez assez fort pour assurer l'indépendance et la liberté, elles vous rendront invulnérable. »
Ou enfin:
« Les sentiments de Votre Majesté pour l'Italie ne sont pas pour moi un mince réconfort au moment de mourir. »
Quel retournement! Non seulement la cible devient porte-drapeau, mais voilà l'assassin transformé en martyr! La logique serait maintenant de gracier Orsini, après l'inévitable sentence de mort du tribunal. Louis Napoléon aussi bien qu'Eugénie sont favorables à cette idée... Mais ils se heurtent à une hostilité générale. Trop, c'est trop. Orsini meurt donc le 13 mars. Mais il a atteint son but, par des voies bien différentes de celles qu'il imaginait.
L'heure est maintenant aux préparatifs. Cavour, Premier ministre de Victor-Emmanuel, a compris que la situation était mûre. Les allées et venues d'intermédiaires se multiplient entre Turin et Paris, hors des circuits officiels, du moins du côté français.
Le 21 juillet 1858, a lieu à Plombières l'entrevue décisive entre Cavour et Louis Napoléon. Celui-ci est en cure dans les Vosges ; Cavour s'y rend dans le plus parfait incognito.
Ils se voient seuls, sept heures durant, sans témoin. Walewski, ministre des Affaires étrangères, ignore tout de la rencontre. Ils discutent tout d'abord à la résidence de l'empereur, puis au cours d'une longue promenade en phaéton. Et comme le temps presse, ils passent vite à l'élaboration d'un plan, comme deux conspirateurs, avec un certain cynisme mais aussi un brin d'enthousiasme. On comprend que les deux hommes en conçoivent quelque exaltation: à eux deux, ils sont en train d'inverser le cours de l'Histoire.
On prendra pour prétexte de la guerre une insurrection dansle duché de Modène. Une fois la guerre gagnée par les Franco-Piémontais, le royaume du Piémont s'adjoindrait la Lombardie et la Vénétie, tandis que la France recevrait pour prix de ses bons offices Nice et la Savoie. Enfin, l'Italie constituerait, sous la présidence du pape, une confédération de quatre États: le Piémont, ainsi agrandi; en Italie centrale, un royaume fait des Duchés et d'une partie des États pontificaux, royaume dont la couronne reviendrait au prince Napoléon Jérôme, qui aurait entre-temps épousé Clotilde, fille de Victor-Emmanuel; l'autre partie des États pontificaux, qui resterait au pape ; le royaume des Deux-Siciles, où l'on se chargerait, s'il y avait du grabuge, de placer un membre de la famille Murat...
L'accord
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