Louis Napoléon le Grand
a amené les choses à cette extrémité qu'il faut qu'elle domine jusqu'aux Alpes ou que l'Italie soit libre jusqu'à l'Adriatique. »
Cette fois, comme l'affaire est cruciale, Louis Napoléon entend s'impliquer personnellement. Il prend le commandement de l'armée. C'est une nécessité politique, mais aussi diplomatique : il veut dès que possible pouvoir négocier, en personne, sur place, selon le schéma qu'il n'avait pu, à son corps défendant, mettre en oeuvre en Crimée.
L'expérience sera décevante : Louis Napoléon est trop avisé pour ne pas découvrir rapidement, sur le terrain, qu'il n'a rien du chef de guerre, habile, imaginatif, inventif, capable, d'une intuition, de renverser le cours d'une bataille. La guerre n'est pas sa spécialité, même si son Manuel d'artillerie a pu en créer l'illusion.
Au reste, on ne peut pas dire qu'il est bien servi. La volonté de garder le secret sur nos intentions guerrières avait conduit à l'absence complète de préparatifs militaires, et la pagaille était encore plus grande qu'à l'habitude: les services de santé, l'intendance, les approvisionnements, les équipements sont dans une situation lamentable. Louis Napoléon le déplore : « Nous ne sommes, dit-il, jamais prêts pour la guerre. »
Lui-même quitte Paris, le 10 mai. Les premières troupes avaient fait mouvement dès le 24 avril, mais il est resté pour veiller au vote par le Corps législatif d'un emprunt de 500 millions de francs destiné à financer l'opération. Les cinq opposants républicains, gênés, se sont réfugiés dans l'abstention, mais l'enthousiasme de la rue, des quartiers populaires, leur donne tort. Émile Ollivier allait le noter avec franchise : « Le peuple de Paris n'éprouvait pas nos scrupules et n'imita pas notre abstention: il approuva chaleureusement ; il se rangea derrière son empereur et non derrière ses députés, quoiqu'il les eût nommés pour faire de l'opposition. Ce me fut un avertissement que je n'oubliai pas. »
Au départ, ce sont quelque cent cinquante mille Franco-Piémontais qui vont se trouver confrontés à quelque cent vingt mille Autrichiens. Le nombre de ceux-ci passera bientôt à deux cent mille hommes placés sous le commandement personnel del'empereur François-Joseph, dont la présence doit satisfaire Louis Napoléon, à qui s'offre la possibilité de négocier à tout moment.
Par chance, il s'avère vite que le commandement autrichien est au moins aussi médiocre que le français. Au lieu de se jeter sur le Piémont avant la jonction des troupes adverses, l'armée autrichienne attend, stupidement, que l'ennemi constitue son corps de bataille. Le 4 juin, c'est l'affrontement de Magenta: mêlée confuse, opérations décousues, mais rencontre que les Autrichiens, d'eux-mêmes, en décrochant, estiment avoir perdue. Leur retrait permet aux deux alliés d'entrer à Milan dans une atmosphère de ferveur populaire...
Dix-huit jours plus tard, dans un rapport de forces des plus indécis, les deux armées se retrouvent à nouveau face à face, à Solferino. C'est un scénario analogue qui se déroule: les Autrichiens reculent encore. La victoire a été payée au prix fort: dix-sept mille Français sont restés sur le terrain.
C'est à ce moment, où tout paraît pourtant bien engagé et la bataille pour la Vénétie inéluctable, eu égard aux engagements pris et aux résultats de ce qu'on croit n'être que la première partie de la campagne, qu'à la stupéfaction générale, et à la fureur des Piémontais, Louis Napoléon propose une entrevue à François-Joseph pour discuter d'un armistice.
Pourquoi diable s'arrêter ainsi en chemin, au mépris des accords passés? N'était-ce pas s'exposer au reproche de n'avoir accompli qu'une partie de la besogne, n'était-ce pas perdre le bénéfice des efforts déjà consentis, n'était-ce pas enfin décevoir gravement toute la gauche française?
Louis Napoléon, avec cette naïve franchise qui le caractérise parfois lorsqu'il décide de sortir de son mutisme, s'en explique dès son retour devant les corps constitués réunis pour la circonstance à Saint-Cloud :
« Après une glorieuse campagne de deux mois, la lutte allait changer de nature [...]. Il fallait accepter la lutte sur le Rhin comme sur l'Adige. Il fallait partout, franchement, me fortifier du concours de la révolution [...]. Pour servir l'indépendance italienne, j'ai fait la guerre contre le gré de l'Europe ; dès que les destinées
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