Louis Napoléon le Grand
entre eux par la solidarité des intérêts matériels rendraient la guerre plus destructrice encore ».
Il est d'autant plus urgent, en conséquence, « de régler le présent et d'assurer l'avenir ».
Louis Napoléon proposa que ces grandes assises européennes se tiennent à Paris. Ce fut une fin de non-recevoir unanime. Le congrès, personne n'en voulait. Par la force des choses — et pas seulement du fait de Louis Napoléon — le système européen se trouvait déstabilisé, mais personne, à part lui, ne voulait rechercher les moyens d'une nouvelle stabilité.
L'empereur eut du moins le réalisme de ne pas en tirer comme conséquence la nécessité d'une intervention, dont il pressentait qu'elle pourrait tourner au désastre. A Napoléon Jérôme qui lui en faisait reproche, il répondit sans ambages : « Je n'ai pas fait la guerre pour la Pologne, l'intérêt français ne l'exigeait pas et je ne la ferai dans aucune éventualité analogue. »
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La politique étrangère de Louis Napoléon a fait, en général, l'objet de jugements extrêmement sévères. Il est vrai que Sedan a tout occulté ; il est vrai aussi qu'il existe des chefs d'accusation, d'ailleurs souvent contradictoires.
Pour cuisante qu'elle soit, la défaite face aux Prussiens — qu'on tentera bientôt de relater et de comprendre — ne doit pasfaire oublier un bilan plus qu'honorable. Sans doute cette défaite apparaît-elle comme d'autant plus inadmissible qu'elle semble ne pas correspondre à l'état réel des deux pays qui s'affrontent. A la faveur de sa victoire, la Prusse — l'Allemagne... — va devenir une grande nation, mais elle ne l'est pas encore, alors que la France l'est déjà et, faut-il le souligner, va le demeurer. N'oublions pas que l'emprunt lancé pour la libération du territoire sera couvert treize fois et que la France vaincue n'en reste pas moins une puissance mondiale. Or son rayonnement dans l'Europe des Balkans, son influence au Moyen-Orient, sa présence outre-mer sont à mettre, incontestablement, au crédit du second Empire : en 1870, la France est à la tête d'un domaine colonial d'un million de kilomètres carrés et de plus de cinq millions d'habitants. Sans vouloir se réfugier dans une comptabilité sordide, force est d'admettre que les mortifications de Sedan n'égalent pas celles de Waterloo. Si le pays est provisoirement amputé de l'Alsace et de la Moselle, il s'est agrandi de la Savoie et du comté de Nice. Surtout, on sent bien qu'il possède les moyens de son redressement. Pour la III e République, le chemin est tout tracé. On serait même tenté de dire que l'essentiel est déjà fait.
Le fond des critiques se situe probablement ailleurs. On reproche tout à la fois à Louis Napoléon de s'être entêté à conduire une politique des nationalités au mépris des intérêts de la France, et de l'avoir oubliée... au nom des mêmes intérêts. L'empereur a voulu, c'est vrai, concilier deux objectifs distincts, mais ceux-ci n'étaient pas forcément contradictoires, comme l'a prouvé l'expérience italienne. Quant à l'unité allemande, si elle est passée par la guerre, Bismarck en porte toute la responsabilité devant l'Histoire. La guerre n'était certes pas inévitable. C'est le chancelier qui l'a voulue; c'est lui qui a engagé le processus infernal dont l'Europe subit encore les conséquences.
Porter au débit de Louis Napoléon d'avoir pressenti — plutôt que voulu — l'unité de l'Italie et d'avoir tiré les conséquences de la volonté de fusion des Allemands relève de la plus évidente mauvaise foi. Ce qui s'est passé se serait accompli en tout état de cause. Comment lui en vouloir d'avoir mieux que les autres compris les événements et d'avoir cherché à en maîtriser le cours?
Le jeune Charles de Gaulle quand il rédige la France et son armée a pu sembler se joindre un instant au concert de ces critiques. Il observe en effet que « ... en favorisant la formationsur nos frontières de deux grandes puissances nouvelles, en contribuant à l'abaissement de la Russie et de l'Autriche, en laissant ébranler l'équilibre européen, l'Empereur préparait toutes les conditions d'un conflit où la France aurait à défendre, par ses seuls moyens, son sol et son avenir. »
Aussitôt, cependant, vient une précision: « Pour mener cette grande guerre nationale, il eût fallu une autre armée », ce qui signifie probablement que ses reproches s'adressent moins au choix politique
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