Louis Napoléon le Grand
plus fier. Suivons donc M. Benoît:
« Il voit, vers la Mairie, la foule se porter aux élections. Étonnement du suffrage universel.
« Étonnement des chemins de fer qui sillonnent la France ; du télégraphe électrique.
« Arrivée à Paris; embellissement. L'octroi porté aux fortifications.
« Il veut acheter des objets, qui sont meilleur marché, grâce au traité de commerce. Le fer moitié moins cher, etc.
« Il croit qu'il y a beaucoup d'écrivains en prison. Erreur.
« Point d'émeutes ; point de détenus politiques ; point d'exilés.
« Point de détentions préventives.
« Accélération des procès. La marque supprimée.
« La mort civile supprimée.
« La Caisse pour la vieillesse.
« Les aziles (sic) de Vincennes.
« Les coalitions.
« Police de roulage détruite.
« Réglementations abolies.
« Service militaire allégé, solde augmentée, médaille instituée, retraite augmentée.
« Réserve augmentant la force de l'armée.
« Fonds pour les prêtres infirmes.
« Contrainte par corps.
« Courtiers : un marchand qui envoyait un commis vendre ou acheter des marchandises était arrêté.
« Les Conseils Généraux. »
Pour tout autre que Louis Napoléon la présentation d'un tel bilan suffirait à assurer la renommée et la gloire. Mais s'agissant de lui, il n'en est malheureusement rien.
On ne s'en étonnera plus. Tout le monde connaît, car on en parle sans cesse, les libertés qu'il limita ; tout le monde oublie, car on omet souvent de le rapporter, qu'elles furent, le moment venu, rendues au peuple et notablement amplifiées. En 1870, au chapitre des droits fondamentaux, individuels et collectifs, il n'y a pas lieu d'écrire que la France a été délivrée d'un tortionnaire. On le vérifiera encore.
En tout cas, les progrès accomplis dans le domaine des droits sociaux sont indiscutables : droit de grève, droit de réunion, liberté syndicale de fait, abolition de dispositions anti-ouvrières dont nul ne s'était vraiment soucié jusque-là. L'esquisse d'une protection sociale a été dessinée, ou du moins sa nécessité reconnue. L'enseignement public a été amélioré et étendu. Surtout, la France s'est profondément et durablement modernisée.
Une décisive impulsion a été donnée par Louis Napoléon à la France. Il l'a fait changer de siècle. Aujourd'hui encore, nous vivons dans un cadre qu'il a conçu, voulu et créé et qu'il nous a légué.
Peu de chefs d'État dans l'Histoire ont laissé un tel héritage. Rarement, jamais sans doute, la France n'aura fait autant de progrès en aussi peu de temps.
Quand on mesure la puissance de notre pays en 1870, on enrage vraiment à la pensée de la défaite. Sedan est un scandale. Car la France n'est pas battue sur ce qu'elle est, c'est-à-dire un pays autrement plus avancé, autrement plus riche, autrement plus puissant que la Prusse. Mais comme on va le voir, la nation s'est refusée à utiliser les moyens de le prouver sur le champ de bataille.
Tout à l'enthousiasme — et aux délices — du progrès, elle ne va pas se donner l'armée dont elle a besoin. Lancée dans les réalités nouvelles, elle en a oublié d'autres, hélas incontournables... Et paradoxalement, la France aura été victime de la liberté que lui a rendue Louis Napoléon.
VIII
LE LIBÉRAL
Les historiens du second Empire admettent tous l'idée d'un passage, plutôt subi que voulu, d'un régime autoritaire vers un régime libéral, leur bel accord ne venant à se briser qu'au moment d'en dater précisément l'origine : 1860, pour les uns, année des premières « concessions » visant à améliorer le fonctionnement du Corps législatif; 1867, 1869 ou 1870 pour les autres, dont les arguments ne manquent jamais de pertinence, chacune de ces années correspondant à des innovations, toutes fort significatives.
La thèse de Jacques Rougerie est un peu différente: se succéderaient deux périodes, celle d'un bonapartisme « fort », marqué d'un « pli réactionnaire », régime d'ordre (sans être pour autant un régime de l'Ordre) qui dure jusqu'en 1857, puis celle, plus originale, où se développeraient les idées proprement louis-napoléoniennes, et qui culminerait (ou se pervertirait) dans un ultime avatar libéral.
Mais, pour les uns comme pour les autres, la cause est entendue. Il est admis et reconnu une fois pour toutes qu'un régime autoritaire se serait progressivement assoupli, « libéralisé ». Cette évolution serait due à
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