Louis Napoléon le Grand
d'urgence Louis Napoléon à Saint-Cloud.
Après coup, il est facile d'imaginer ce qu'il a enduré. Une fois les faits connus dans le détail, Rouher, par exemple, le 11 janvier 1873, eut ce cri du coeur: « L'autopsie a démontré les terribles ravages faits dans la santé de l'empereur par les maladies de 1866, 1867, 1869. Les deux reins et l'intérieur de la vessie étaient gravement attaqués. Issue du résultat de ces désordres irrémédiables, la pierre était ancienne et de lente formation ; elle était énorme. »
Comment ne pas éprouver quelque émotion à la pensée des souffrances que ce malheureux souverain a stoïquement supportées, sans doute pendant plus de dix années? Dans le choix de leur dissimulation intervient sûrement le contrecoup, plus ou moins conscient, de préoccupations politiques. L'empereur ne pouvaitpas être malade parce qu'il ne devait pas l'être. Girardin a bien résumé la crainte générale des conséquences incalculables que pouvait avoir la simple confirmation des difficultés de santé de Louis Napoléon. En 1866, les bruits colportés sur la gravité présumée du mal ayant eu pour effet une baisse des fonds d'État, il écrit :
« ... Si la maladie de l'Empereur venait à traîner en longueur et s'il était démontré qu'il ne peut plus prendre part aux affaires du pays, un coup terrible serait porté à la dynastie. Les partis hostiles auraient du temps devant eux pour organiser la résistance. L'impuissance de l'Empereur serait un prétexte tout trouvé pour demander le retour au régime parlementaire et à la responsabilité des Ministres. Ces idées trouveraient bien vite de l'écho dans l'opinion. Avant que l'Empereur eût rendu le dernier soupir, l'Empire serait ébranlé sur ses bases. »
Il faut donc prendre en compte les conséquences politiques de la maladie. Comme toujours en semblables circonstances, on dément, et, dans le cas d'espèce, on ne mentira vraiment que sur le tard. Ollivier le dira : « Je jure que mes collègues et moi, nous ignorions la maladie de l'Empereur. » En 1866, on invite l'empereur à s'exhiber et à se montrer au peuple dans sa calèche — ce qui produit des effets contraires à ceux qui étaient escomptés car, ainsi, chacun peut découvrir sur son visage les stigmates de la souffrance.
Alors, on sévit : par exemple, un avertissement est infligé au Courrier de la Vienne, à l'occasion d'un article exprimant, selon les censeurs, « l'intention manifeste et mauvaise de répandre, contrairement à la vérité, des alarmes sur la santé de l'Empereur ».
Toutes ces précautions se révèlent inutiles. Les problèmes de santé de Louis Napoléon sont devenus un secret de polichinelle. En 1869, il faut recourir à la sonde pour le faire uriner. On continuera contre toute raison à parler officiellement de rhumatisme. Le Journal officiel s'en mêle : « Des bruits alarmants ont été répandus sur la santé de l'Empereur. Ces bruits sont inexacts. Les douleurs rhumatismales de Sa Majesté tendent à disparaître. Une enquête est ouverte dans le but de découvrir les propagateurs d'une nouvelle qui ne peut être attribuée qu'à de regrettables manoeuvres. »
Le même jour, l'Indépendance belge publie d'autres informationsqui, elles aussi, se veulent rassurantes, mais ont le mérite de l'exactitude : « Il y a une amélioration dans la santé de l'Empereur. Un sondage a été pratiqué et a donné des résultats favorables. » Rochefort, dans les colonnes de son journal, se tord de rire et se déchaîne: « Sonder un rhumatisme! Jamais, depuis le Médecin malgré lui, on n'avait assisté à une médication pareille! »
Cette cruauté, comment le malade pourrait-il ne pas en souffrir? Songe-t-on, dans de semblables circonstances, à celui qui souffre, qui lutte contre la mort, qui, pour être homme d'État, n'en est pas moins homme, et qui dans son combat désespéré reçoit de tels coups? Y songeait-on, un peu plus de cent ans plus tard, quand un hebdomadaire français, quelques semaines avant la fin de Georges Pompidou, publia une photographie à la « une » qui lui annonçait sa disparition?
Il est certain que Louis Napoléon, depuis qu'il sent progresser un mal dont il ignore la nature, songe à la mort, dont il pense visiblement qu'elle peut le saisir à tout moment. Partant pour l'Algérie en 1865, il décide de confier la régence à Eugénie, ce qui, en temps ordinaire, ne serait aucunement justifié: il n'y court
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