Louis Napoléon le Grand
toute une série de causes convergentes, à rechercher du côté de l'affaiblissement politique, et même physique, de Louis Napoléon.
Une telle métamorphose aurait été imposée en quelque sorte par les déboires extérieurs et par la montée concomitante des oppositions. La déchéance physique de l'empereur ajouterait un élément d'explication à la résignation dont il fait preuve quand il lui faut desserrer son étreinte.
Ainsi présenté, l'« Empire libéral » est donc le fait du renoncement d'un homme que sa chance et ses forces abandonnent, qui n'a plus ni les moyens ni l'envie de lutter, et qui laisse, en désespoir de cause, les événements décider à sa place.
On a déjà pu constater qu'après le milieu des années 60 le régime semble effectivement entré dans une phase critique. L'affaire mexicaine a frappé les esprits, et l'évolution de la situation italienne n'a certes pas compensé, aux yeux de l'opinion, les effets négatifs de Sadowa. Au surplus, depuis 1865, l'essor économique paraît s'essouffler. Les entreprises ne parviennent plus à drainer tout l'argent disponible. Évoquant l'en-caisse de la Banque de France, qui paraît dérisoirement inutile, certains vont jusqu'à parler d'une « grève du milliard ». Façon de souligner — ce qui n'est pas inexact — que la confiance n'est plus aussi grande qu'auparavant.
Pourtant, avant que de se résoudre à admettre cette thèse de la dénaturation forcée du régime, il y a au moins deux questions préalables à trancher: l'état de santé de Louis Napoléon a-t-il effectivement été à l'origine d'un affaiblissement de sa capacité à maîtriser les événements dans l'ordre intérieur? La libéralisation — à laquelle il se serait, dans l'affirmative, trouvé contraint — était-elle en contradiction avec sa volonté profonde ?
***
La santé de Louis Napoléon, nous l'avons vu, lui a toujours posé des problèmes, et cela depuis sa naissance et sa petite enfance. Adolescent et jeune homme, il a pu faire illusion, après la rude formation d'Augsbourg et de Thoune, qui avait aguerri son corps tout en forgeant son caractère. Las, six années de captivité dans des conditions déplorables ont laissé des traces: frappé d'anémie il a pâti pendant de longues années d'un « flux hémorroïdal considérable », et a souffert de douleurs chroniques aux cuisses et aux articulations des pieds, douleurs qui s'amplifiaient sous l'influence du froid — d'où l'habitude qui était la sienne de vivre dans des pièces suichauffées.
De quelle époque datent les premiers symptômes d'une altération de ses fonctions rénales? Les avis divergent, certains les faisant remonter à 1863. Des crises survinrent — c'est probable — en 1864, lors d'un voyage en Suisse, et surtout en 1865 — c'est sûr — lors d'un séjour au camp de Châlons. Par elles-mêmes, cesimprécisions sont révélatrices... En fait, il fallut attendre 1870 pour obtenir un diagnostic précis. Jusque-là, on se contenta, selon le mot de Darimon, de précautions plus hygiéniques que médicales.
Louis Napoléon n'aimait guère les médecins et se défiait encore plus de la médecine. Il avait généralement recours aux praticiens du quartier des Tuileries, lesquels ne diagnostiquaient qu'indispositions passagères et prescrivaient en conséquence. L'empereur ne fut ni le premier ni le dernier homme d'État à être soigné avec tant de légèreté. Il eut sans doute le tort de s'en remettre trop aveuglément aux bons soins de son brave docteur Conneau, fidèle entre les fidèles, dont le dévouement absolu ne compensait malheureusement pas l'incompétence. Il y eut plus grave. Non seulement on ne fit rien pour traiter le mal, mais on se lança gaillardement dans des thérapeutiques manifestement contre-indiquées.
L'existence d'un calcul vésical était au moins plus que probable. Cependant, on envoyait le malade à Vichy. Comme l'a écrit, avec un certain luxe de précautions, le docteur Constantin James : « Vainement, l'Empereur demanda aux eaux de Vichy un soulagement qu'elles devaient d'autant moins lui procurer qu'elles agissaient au contraire dans le sens du mal, en augmentant le volume du calcul par de nouvelles couches. » Même si cette théorie de l'aggravation fut très contestée, on le sait, il reste que les résultats de ces séjours furent décevants et qu'ils n'empêchèrent pas les crises: on dut ainsi interrompre la cure de 1867 pour rapatrier
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