Louis Napoléon le Grand
à propos, ni trop tôt, ni trop tard [...]. Pour l'Empire, je le crois, il n'est pas trop tôt, il n'est pas trop tard: c'est le moment. »
Cependant, la voie se fait pour lui de plus en plus étroite. Thiers déploie toute son habileté pour occuper l'espace laissé libre entre les bonapartistes autoritaires et les républicains. Le Tiers Parti qu'il s'attache à constituer tend à recruter à l'endroit même où Ollivier pourrait espérer trouver des partisans dans la phase décisive de la libéralisation.
De leur côté, les tenants de l'autoritarisme serrent les rangs, et se montrent tout aussi capables d'attirer vers eux certains membres du « marais »; et, bien entendu, le programme libéral a tout pour leur déplaire.
Les résultats des élections municipales et départementales les ont affolés; c'est à leurs yeux la conséquence d'une politique de faiblesse, dont ils sont convaincus que Thiers, leur bête noire, sera finalement le seul bénéficiaire.
De la part d'Ollivier et de ses amis, l'amendement à l'adresse était une façon de laisser ouvert le champ du possible. Il est clair que, pour l'instant, Ollivier ne peut être d'un grand secours.
Louis Napoléon en arrive donc très vite à la conclusion qu'il va devoir mener seul, ou pratiquement seul, la deuxième phase de l'opération lancée en 1860. Dans l'immédiat, mettre Ollivier en avant ne servirait à rien, sinon sans doute à le disqualifier définitivement. D'ailleurs, l'empereur n'est pas encore en totale harmonie avec l'ancien préfet de Marseille. L'emploi du verbe « céder » dans le récent discours d'Ollivier a dû lui écorcher les oreilles. Il ne s'agit pas pour lui de céder: il n'y a rien à céder; et pas l'ombre d'une contradiction entre ce qui va se faire et ce qui a été accompli. Louis Napoléon l'affirmera avec force: « Si je prends l'initiative des réformes, cela ne condamne en aucune façon le passé. » Tout cela doit être très clair. Or, il ne semble pas qu'Ollivier en soit encore totalement convaincu. Raison de plus pour attendre.
Le 10 janvier 1867, les deux hommes se revoient et se parlent longuement. Cette conversation leur permet de prendre ensemble la mesure de ce qui les sépare encore. Lorsqu'ils se quittent, ils sont tous les deux conscients que leurs routes, pendant un certain temps encore, resteront séparées quoique parallèles. Pour ne se rejoindre, le cas échéant, que plus tard...
C'est ce qu'explique Emile Ollivier en analysant leurs rapports: « Je suis résolu à appuyer l'évolution libérale que médite l'Empereur dans la forme qu'il voudra. Cependant, il est grandement intéressé, s'il m'emploie, à m'utiliser sous la forme qui me permettra de lui rendre le plus grand nombre de services. Or, plus j'y réfléchis, plus j'incline à penser que c'est sous celle de chef de la majorité. »
C'est dire qu'il va falloir attendre au moins les prochaines élections. Pourtant, tout le monde alors croit à l'arrivée imminente au pouvoir d'Émile Ollivier. Quand les faits détromperontcette attente, on ira jusqu'à parler de « journée des dupes ». On en tirera même argument pour dénoncer une fois encore la prétendue indécision de l'empereur ou sa pusillanimité.
Accusations qui font sourire quand on sait la force de la tourmente qu'il va devoir affronter et l'ampleur des décisions qu'il va lui falloir imposer.
La première épreuve qui l'attend est celle du Conseil des ministres. Le 17 janvier, il y expose ses projets. C'est un tollé général. L'impératrice a déjà manifesté son hostilité; les ministres font chorus. Rouher insiste : on fait fausse route en cherchant à prendre des initiatives de politique intérieure alors que les difficultés traversées n'ont d'autre origine... que la politique étrangère. Il y a de l'orage dans l'air... Agacé de ne trouver aucun soutien, Louis Napoléon lève la séance après avoir concédé: « Nous en reparlerons. » On n'en reparlera pas.
Ollivier écrit à l'empereur une lettre de nature à conforter sa détermination: « Sire, on me dit que vos ministres s'opposent avec la plus grande vivacité à votre dessein magnanime et qu'ils s'efforcent de vous le faire abandonner [...] je vous conjure de ne pas vous laisser ébranler, je vous conjure de ne pas tomber dans le piège qui consistera à reprendre par le détail ce que vous aurez concédé en principe. »
Fidèle à sa manière, intrépide dès lors qu'il est résolu, Louis
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