Louis Napoléon le Grand
à bon droit remarquer qu'il s'agit là du premier discours « dans lequel il montre quelque compréhension de la liberté. Il l'accepte avec ses excès ».
Les excès, ce n'est pas ce qui va manquer... Dans son discours, l'empereur avait d'ailleurs lui-même relevé que la presse et les réunions publiques avaient créé une atmosphère d'« agitation factice ». Factice ou non, cette agitation fut vite portée à son comble, pour atteindre des sommets de violence. Pour la première fois, des candidats déclaraient ouvertement leur hostilité à la dynastie. A Paris, les réunions rassemblèrent jusqu'à vingt mille personnes; on assista à des scènes d'émeutes et l'on vit s'élever des barricades.
Finalement, les résultats ne furent pas si mauvais pour Louis Napoléon. Les oppositions républicaine et conservatrice étaient devancées d'un million et demi de voix. Si elles l'emportaient dans Paris et les grandes villes, en revanche les campagnes étaient restées fidèles. Sur les soixante-quatorze élus républicains, l'« opposition de renversement » ne comptait guère qu'une trentaine d'élus, soit autant que les partisans de l'Empire autoritaire — les « Mamelouks » — sur les quelque quatre-vingts bonapartistes déclarés. Il existait donc parmi le reste des deux cent quatre-vingt-douze nouveaux députés, l'ébauche d'une majorité potentielle.
Quelle majorité et pour quoi faire? Rien n'était vraiment clair.
Plutôt que de s'avancer en terrain découvert et de faire connaître aussitôt ses préférences, Louis Napoléon décida d'attendre la formation d'un groupe appuyé sur un programme stable. Il estimait en effet que ce n'était pas à lui de lever les hypothèques, attitude qui présentait quelque risque, en particulier celui de faire croire une fois de plus, à son irrésolution. Parmi d'autres, La Valette s'y laissa prendre, en observant: « L'Empereur ne dit pas ce qu'il veut, parce qu'il ne sait pas ce qu'il veut. » En fait, comme l'a fort bien souligné William Smith, LouisNapoléon pensait que le meilleur moyen de répondre aux voeux des députés consistait à leur donner les moyens de les exprimer. Cette manière de faire s'avéra efficace.
Faisant fi des délais que lui offrait la Constitution, Louis Napoléon convoqua rapidement le Corps législatif pour une courte session, consacrée en principe à la vérification des pouvoirs. C'est là qu'Ollivier entre en scène. Le 28 juin 1869, il réunit cent seize députés sur le texte d'une interpellation qui évoque notamment « la nécessité de donner satisfaction au sentiment du pays en l'associant de manière plus efficace à la direction de ses affaires », et qui réclame « la constitution d'un ministère responsable devant l'Empereur et la Chambre ».
Louis Napoléon saisit la balle au bond. Il accepte le programme des cent seize et fait lire par Rouher un message au Corps législatif. Rappelant que l'empereur « avait montré plusieurs fois combien il était disposé dans l'intérêt public à abandonner certaines prérogatives », ce message annonce son intention d'étendre à nouveau le droit d'interpellation; de faire procéder au vote du budget par chapitres; d'établir une plus grande solidarité entre le Corps législatif et le gouvernement à la faveur, notamment, de la suppression de l'incompatibilité entre les fonctions ministérielles et l'exercice d'un mandat parlementaire; de soumettre obligatoirement au Corps législatif les modifications de tarifs contenues dans les traités internationaux et de prévoir la présence systématique des ministres devant les Chambres.
Le soir même, très logiquement, Rouher démissionne en compagnie de tous les ministres. Louis Napoléon ne fait pas immédiatement appel à Ollivier, préférant désigner un gouvernement intérimaire dirigé par Chasseloup-Laubat. Il n'était sans doute pas convaincu que les choses fussent arrivées à maturité; et puis il jugeait nécessaire d'attendre que la réforme constitutionnelle soit chose faite.
Le 6 septembre 1869 était publié le sénatus-consulte amendant la Constitution de 1852. Tout s'y trouvait: le Corps législatif partageait désormais avec l'empereur l'initiative des lois ; maître de son règlement, il élisait son bureau, et bénéficiait de nouvelles règles de procédure budgétaire. Les deux Chambres se voyaient reconnaître un droit illimité d'interpellation. Les tarifs douaniers ne pouvaient devenir obligatoires
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