Louis Napoléon le Grand
pour un nouvel examen devant le Corps législatif. Et, mesure hautement symbolique, on rétablit la tribune pour les députés, qui n'auront plus ainsi à parler de leur place.
Rouher ne met pourtant aucun empressement à avancer sur la voie choisie. Il goûte peu de jouer le rôle de la victime expiatoire et de servir de cible à tous les mécontents. Il encaisse mal, en particulier, une charge d'Ollivier qui, le 12 juillet, évoquant les réformes, s'écrie: « On n'y a mis ni conviction, ni entrain. On a rechigné, protesté, rogné, atténué; au lieu de donner une apparence libérale aux dispositions restrictives, on a donné une apparence restrictive aux dispositions libérales. » Cherchant à marquer sa confiance au ministre d'État, Louis Napoléon lui confère alors la grand-croix de la Légion d'honneur.
On n'a rien vu encore. La bataille de la loi sur la presse prend des proportions épiques. A gauche, Jules Favre, déchaîné, fait dans la surenchère. La droite bonapartiste s'oppose à toutes les dispositions du texte. Et les ministres, eux-mêmes hostiles au projet, pressent Louis Napoléon d'y renoncer. Celui-ci n'accepte aucune reculade et exprime sa détermination: si la loi est rejetée, le Corps législatif sera dissous. Tout le monde en apparence est contre lui, mais il sent l'opinion favorable. Finalement, son audace et son obstination payent: la loi sera votée le 11 mai 1868. L'autorisation préalable et le système des avertissements sont supprimés. La presse est libérée. Mais, étonnant paradoxe — unde plus —, Louis Napoléon ne se sera tant battu que pour donner aux journaux le droit de l'accabler d'injures. Désormais, par sa grâce et pour sa disgrâce, la presse ne l'épargnera jamais.
Peu de temps après, la loi sur les réunions publiques est votée à son tour. Les réunions sont autorisées à condition qu'on n'y fasse pas de politique — sauf, fort heureusement, en période électorale... Ollivier apprécie: « L'Empereur avait pris son parti [...]. Comme il se piquait de démocratie, il comprenait que ce droit est la liberté vraiment démocratique. »
Voilà donc une oeuvre courageuse et de grande conséquence, fruit de la seule volonté de Louis Napoléon. Il était en droit de revendiquer sinon le mérite du moins la responsabilité de ses efforts. Peine perdue: dans son entourage même, on pense qu'il a laissé aller, qu'il s'est fait déborder, qu'il a dérapé.
Rouher le note, avec un certain reste de prudence: « Nos amis [...] s'écrient: on ne sent plus la main du Gouvernement; il n'y a plus ni unité ni énergie dans l'Administration. »
Antienne décidément bien connue: on n'est plus gouverné! Certains perdent même la mesure, tel Fould qui s'écrie: « Il faut se débarrasser de lui. »
Ce qui est sûr, c'est que la violence de l'opposition parisienne croît au même rythme que la libéralisation. On en arriverait à croire que sa vigueur est proportionnelle aux satisfactions présumées qu'on lui donne. Il est vrai qu'elle ne se fait pas faute d'exploiter toutes les libertés nouvelles que consent le régime. En fait, elle distille un climat de haine. Et elle agit au grand jour. Le 10 mai 1868, le prince impérial est l'objet d'un affront en pleine cérémonie de remise des prix du Concours général. A l'appel du nom du fils Cavaignac, le prince impérial se lève pour remettre son deuxième prix de version latine à un lauréat qui reste obstinément assis. Le 2 décembre, Gambetta, avocat de Delescluze — poursuivi pour avoir organisé l'agitation autour de la commémoration du sacrifice du député Baudin — prononce, en fait de plaidoirie, un véritable réquisitoire contre l'Empire. Le soir même, Louis Napoléon évoque l'incident devant l'impératrice, et sans que l'on sache si cela procède de son inclination pour la litote, de son sens de l'humour ou d'une touchante naïveté, il a cette interrogation: « Qu'avons-nous fait à ce jeune homme? »
***
On en arrive ainsi à l'échéance électorale de 1869. En janvier,Louis Napoléon, dans un ultime discours devant le Corps législatif, situe l'enjeu: « La Nation, convoquée dans ses comices, sanctionnera la politique que nous avons suivie; elle proclamera, une fois de plus, par ses choix qu'elle ne veut pas de révolution mais qu'elle veut asseoir les destinées de la France sur l'intime alliance du pouvoir et de la liberté. »
L'empereur n'a plus rien à cacher, et Émile Ollivier peut
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