Louis Napoléon le Grand
services et de matériels. Pendant ce temps, l'ennemi amène aux premiers chocs 500 000 hommes, organisés à l'avance en corps d'armée et divisions, garnit ses dépôts de 160 000 soldats et lève une solide landwehr de 200 000 hommes. »
Les effets conjugués de l'imprévoyance, des autosatisfactions et des lâchetés qui ont empêché la réorganisation de l'armée française apparaissent très vite, dans toute leur dimension, même si certains mettront quelque temps à s'incliner devant l'évidence.
Gramont n'a-t-il pas expliqué qu'il s'était décidé à la guerre « avec une confiance absolue dans la victoire » ?
Thiers lui-même, Thiers qui, après la défaite, soutiendra devant la commission d'enquête qu'il savait que la France n'était pas prête, est en réalité convaincu du contraire: tous ses propos antérieurs en avaient apporté la démonstration.
Il n'est pas jusqu'à Niel qui, avant de mourir en août 1869 des suites de l'opération à laquelle l'a acculé le même mal que l'empereur, n'ait été persuadé de laisser à la France, malgré l'échec du projet de réforme, une armée apte à la protéger... Quelle erreur! Et le nombre n'est pas seul en cause. Notre infanterie est probablement intrinsèquement meilleure que l'infanterie allemande; elle fera d'ailleurs des prodiges. Mais, outre que la supériorité de l'artillerie ennemie compensait largement cette différence de valeur, la mobilité de l'armée allemande, qui vit sur le pays et n'a pas à traîner d'encombrants convois, lui donne un grand avantage stratégique. Techniquement, les Prussiens sont également en avance : ils disposent d'une cartographie supérieure en qualité et savent, eux, s'en servir. Enfin, leur armée est tout entière tendue vers l'offensive. Elle a retenu la leçon de Clausewitz, et s'en tient à de simples et solides principes : mépriser la forme des manoeuvres et les opérations subsidiaires ; marcher droit, toutes forces réunies, jusqu'à la principale armée adverse pour obtenir au plus tôt un avantage décisif et poursuivre vigoureusement cet avantage jusqu'à la victoire.
Comme si l'éclatante disproportion des moyens alignés par les deux pays ne suffisait pas, d'autres facteurs vont encore aggraver la situation et compromettre cette résistance minimale aux premiers chocs qui aurait permis, en stabilisant provisoirement les choses, d'en venir à une solution négociée ou d'espérer l'entrée en lice ultérieure d'alliés potentiels jusque-là attentistes.
On s'aperçoit vite que pouvoir civil et pouvoir militaire ne parviennent pas à délimiter leurs champs d'intervention respectifs : le comble de la confusion sera atteint à Sedan quand l'armée de Mac-Mahon, blessé, se retrouvera dotée... de deux commandants en chef: l'un désigné par le maréchal lui-même, l'autrenommé par le gouvernement. Entre le politique et le militaire, tout se mêle et s'entremêle, au détriment de l'un et de l'autre. Les décisions sont prises au hasard de l'évolution du champ de bataille et, pis encore, les considérations politiques l'emportent parfois sur les données stratégiques.
Le cas de Bazaine qui va bientôt concentrer entre ses mains le commandement suprême — retiré à l'empereur — illustre bien cet état de choses. La façon dont il manoeuvre est-elle vraiment le fait d'un chef militaire? A le voir faire ou, plutôt, à le voir ne rien faire, on a l'impression que, dans ces circonstances dramatiques, son principal objectif consiste non à combattre l'adversaire mais à préserver le capital que constituent à ses yeux les effectifs placés sous son autorité directe afin de pouvoir, le cas échéant, se trouver en bonne posture à la table des marchandages.
D'où vient que certains chefs militaires, de qualité assurément médiocre, se montrent encore plus timorés qu'à l'ordinaire? Est-ce une punition que la providence inflige à Louis Napoléon pour avoir favorisé la promotion d'un certain nombre d'incapables ? N'a-t-il pas eu le tort d'écarter des hommes de valeur? Certains le prétendent comme Joachim Ambert, qui fut général, député, écrivain, historien:
« Napoléon III devait périr par les Généraux. Il y avait aussi dans son passé une terrible nuit, c'était celle où il fit arracher de leur lit les Chefs les plus aimés de l'Armée, les Cavaignac, les Changarnier, les Lamoricière et tant d'autres dont les noms sont inutiles à rappeler. Ces vaillants Capitaines avaient
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