Louis Napoléon le Grand
irréversible l'union de l'Allemagne. Il est possible qu'il fût le seul à la vouloir. Il était l'un des seuls à pouvoir la déclencher. Cela a suffi.
Jocelyn-Émile Ollivier nous le rapporte: « Quand, après la mort de Guillaume I er et de Frédéric III, l'étoile de Bismarck commença à pâlir, il s'efforça de démontrer au peuple allemand que c'était à lui seul et non à son Souverain que devait être attribuée la gloire d'avoir déchaîné le conflit qui s'était terminé par la proclamation de l'unité allemande. »
Bismarck dans ses Mémoires, a lui-même explicitement reconnu qu'il portait la pleine responsabilité du conflit: « J'ai toujours considéré qu'une guerre contre la France suivrait fatalement une guerre contre l'Autriche... J'étais convaincu que l'abîme creusé au cours de l'histoire entre le Nord et le Sud de la patrie ne pouvait pas être plus heureusement comblé que par une guerre nationale contre le peuple voisin qui était notre séculaire agresseur... Je ne doutais pas qu'il fallût faire une guerre franco-allemande avant que l'organisation générale de l'Allemagne eût pu être réalisée. »
Après Sadowa, la querelle sur les compensations a gravement détérioré les relations franco-prussiennes. Bismarck le sait. Il l'a voulu et s'en est réjoui. Ses efforts pour préparer patiemment, méticuleusement, la guerre n'ont pas été vains. Mais on n'avait rien vu encore. A partir de 1868, dès le moment où le chancelier estime son pays prêt pour la grande explication finale, il ne rate désormais aucune occasion de friction: de l'affaire du Luxembourg à celle des chemins de fer belges, tout lui est bon pour défier la France, son opinion publique et provoquer son gouvernement.
Un nouveau prétexte va lui être offert avec le problème que crée la vacance du trône d'Espagne.
A tort ou à raison, la France considérait l'Espagne comme une sorte de chasse gardée: ses intérêts économiques y étaient dominants depuis le financement par des capitaux français de la construction du réseau de chemins de fer espagnol et Louis Napoléon s'intéressait de très près à la situation de la péninsule: il lui arrivait de rêver — bizarrement — à une union ibérique rassemblant Espagnols et Portugais.
C'est dire que la France ne pouvait raisonnablement se désintéresser des conditions de dévolution de la couronne d'Espagne. Déjà, pour des raisons évidentes, elle avait fait écarter la candidature d'un membre de la famille d'Orléans et tenté, sans succès, d'imposer un prince portugais.
Lorsque, sur les représentations de l'ambassadeur de France, Bismarck acquiert la certitude que Paris considérera comme absolument inacceptable la candidature d'un prince allemand, il comprend qu'il détient là un « casus belli » idéal et pousse de tout son poids en ce sens. Pour Paris, en effet, une telle solution est à tous égards intolérable: la France ne pourrait exercer aucune influence sur le nouveau roi, et se sentirait comme encerclée par les Allemands.
Henri Bergson dans le discours de réception que nous avons déjà cité, note lucidement: « Il est hors de doute que la candidature de Leopold de Hohenzollern fut suscitée par Bismarck en vue d'amener un conflit entre l'Allemagne et la France. »
De fait, quand la nouvelle de cette candidature parvient en France, le 3 juillet 1870, elle produit l'effet d'une bombe.
A Paris, on est d'autant plus choqué par ce qu'on considère comme une véritable félonie que depuis son arrivée au pouvoir, le 2 janvier, Émile Ollivier peut croire avoir fait de son mieux, face àune opinion publique réticente, pour améliorer les relations franco-prussiennes et diminuer les tensions. On est d'autant plus surpris que, le 30 juin encore, comme nous le rapporte Jocelyn-Émile Ollivier, « Thiers, qui aimait tant à jouer au prophète, affirmait que l'Allemagne ne cherchait pas à troubler le monde et qu'elle avait à sa tête un homme supérieur partisan de la paix ».
Dès le lendemain de l'annonce de la candidature, Ollivier dépêche notre ambassadeur à Ems, où se trouve le roi de Prusse, pour lui faire connaître la réaction de la France. Le gouvernement prussien prétend alors tout ignorer de l'affaire; la reine d'Angleterre paraît contrariée, sans plus. Quant au Conseil des ministres espagnol, il fixe au 20 juillet — comme si de rien n'était — la date de l'élection de Leopold de Hohenzollern par les
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