Louis Napoléon le Grand
bien mérité de la patrie, ils représentaient l'Armée Nationale, leurs noms se rattachaient à la conquête de l'Algérie, ils avaient vaincu l'émeute dans les rues, ils souffraient de leurs blessures et cependant, on les emprisonna sous un prétexte politique...
« Leur arrestation fut le germe fatal qui conduisit Napoléon III à sa perte. Il ne put remplacer ces Généraux frappés dans la force de l'âge, à l'heure où l'homme est dans toute sa puissance.
« Pendant cette marche funèbre qui le conduisit de Châlons à Sedan, l'Empereur Napoléon III reporta sans doute sa pensée sur cette nuit de décembre 1851 où il avait décapité l'Armée. Il entendit des voix lointaines qui lui disaient: "Varus, rends-moi mes légions!" »
Louis Napoléon est parti aux armées le 28 juillet. Discrètement. Il a pris le train à la petite gare de Saint-Cloud, dans uneatmosphère dépourvue d'entrain. Il est vrai qu'il a lui-même prévu que ce serait « long et difficile ». L'accompagne son fils, à qui on a taillé un uniforme à la mesure de ses quatorze ans.
Ce départ est une erreur. Dans l'état de santé où il se trouve, Louis Napoléon ne sera jamais là-bas que d'une piètre utilité. Tout indique qu'il ne pourra longtemps exercer la réalité des fonctions de commandant en chef. Compte tenu des risques que le conflit fait courir au régime, sa présence à Paris, comme chef d'État, serait de beaucoup plus utile, au cas où tout tournerait mal, hypothèse qu'il n'a jamais écartée. Trop nombreux sont ceux qui pensent que Louis Napoléon a au moins en commun avec son oncle d'être condamné à la victoire pour survivre. A quoi bon, dans ces conditions, renforcer cette impression en liant si explicitement son sort à celui de nos armes? S'il n'avait pas quitté la capitale, Louis Napoléon aurait été moins personnellement impliqué dans nos revers éventuels et mieux placé pour prendre, sur le plan intérieur et extérieur, les mesures qu'auraient exigées les événements. Il aurait pu par exemple, le moment venu, nommer un gouvernement d'union nationale capable de rassembler toutes les énergies. Alors que, dans l'éloignement où il se trouve, ses tentatives pour appeler tel ou tel resteront sans aucun effet.
Louis Napoléon a bien expliqué que la présence d'un chef « magnétise ses troupes sur le terrain ». En est-il si convaincu lui-même ?
En tout cas, l'impératrice n'a rien tenté pour retenir son mari. De la même façon qu'elle s'opposera avec force à toutes ses velléités de retour. Ayant obtenu la régence, il est clair qu'elle veut donner à sa fonction sa pleine signification et en tirer tout le parti possible.
L'apparente indifférence d'Eugénie aux tortures physiques que subissait son mari a de quoi surprendre. A l'époque, elle n'est pas mieux informée que les autres de la nature du mal dont souffre l'empereur, lequel, lors de son exil à Chislehurst, confiera à l'urologue sir Henry Thompson : « Si j'avais su que j'étais atteint de la maladie de la pierre, jamais je n'aurais déclaré la guerre. » On peut absoudre le manque de curiosité de l'impératrice, qui eût pu exiger de connaître les résultats de la consultation de ces sommités médicales qu'étaient les Nélaton, Ricard, Fauvel, Germain Sée et Corvisart, consultation qu'on mit sous pli scellé dans un tiroir de secrétaire ! Mais comment comprendre qu'Eugénie,témoin depuis des années de tant de souffrances et sachant l'empereur traité au chloral, ait pu le laisser partir vers le front? Elle n'ignorait rien des souffrances de l'empereur, ayant souvent contribué à sauver la face dans maintes circonstances officielles. Car le martyre de Louis Napoléon est souvent difficile à dissimuler : dans les moments de crise son visage s'altère, ses traits se tendent, il ne peut réprimer quelques gémissements.
Une explication est souvent avancée: l'attitude d'Eugénie serait celle d'une femme qui a aimé et qui a été trompée. Pour elle, les douleurs que son mari endure dans le bas-ventre, et tout ce pus et ce sang, c'est le coup de pied de Vénus, c'est le passage de la justice immanente. Ne l'aurait-on pas entendue maugréer: « Il n'a que ce qu'il mérite... c'est la vengeance de Dieu »?
Des sentiments de cette nature ne sont peut-être pas complètement absents de l'esprit d'Eugénie, mais ils n'ont rien d'essentiel. De même, il n'y a pas lieu de croire à la thèse, soutenue par certains, de la
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