Louis Napoléon le Grand
à un coup de main sur Sarrebruck, qui sera d'ailleurs bien mené, mais non exploité.
Dès les premiers jours, Louis Napoléon a du mal à dissimuler à ses soldats l'état de délabrement physique dans lequel il se trouve. Il passe de longues heures à cheval, une sonde dans la vessie, le corps garni de serviettes pour éponger des pertes qu'il ne peut maîtriser. La façon dont il supporte son calvaire relève de l'héroïsme, s'accordent à dire encore aujourd'hui les médecins. Lorsque la souffrance est trop forte, son fils l'aide à descendre de cheval, il enlace de ses longs bras un tronc d'arbre, inclinant le front sur l'écorce dans laquelle il enfonce ses ongles pour tenter d'oublier sa douleur.
Que de temps perdu! Or voilà que les Prussiens passent à l'attaque. En deux jours à peine, ils s'assurent le contrôle de l'Alsace. Le 4 août, Moltke — il en est le premier étonné — s'empare de Wissembourg. Le 5, Strasbourg tombe. Frossard qui a attendu en vain l'aide de Bazaine est battu à Forbach.
C'est un double désastre. La guerre a pris en peu de temps un cours dramatique. Louis Napoléon, qui souffre toujours le même martyre et sent bien que son prestige est entamé, n'a plus qu'une pensée: protéger Paris. Mais comment? En résistant dans Metz, en prenant position entre Nancy et Frouard, ou en rassemblant toute l'armée à Châlons?
Le prince Napoléon Jérôme, Lebrun et Castelnau le poussent à envisager son retour à Paris. Bien que l'idée de quitter ses soldats lui répugne et le fasse hésiter, il finit par s'y résoudre, comprenant qu'il sera plus utile dans la capitale, et que sa présence y devient même indispensable.
Eugénie, informée du projet, s'y oppose en des termes d'une grande vivacité : « Avez-vous réfléchi à toutes les conséquences qu'amènerait votre rentrée à Paris sous le coup de deux revers? Pour moi, je n'ose prendre la responsabilité d'un conseil. Si vousvous y décidez, il faudrait au moins que la mesure fût présentée au pays comme provisoire. »
Il est clair que le retour de Louis Napoléon contrarie les plans de l'impératrice, qui souhaite par ailleurs que Bazaine prenne le commandement. Sa façon de voir semble partagée par les dignitaires du régime. Ollivier déclare: « L'Empereur est un obstacle à la victoire. Il ne peut pas commander et empêche qu'un autre commande à sa place »; voilà pour Bazaine. De leur côté, Persigny, Rouher et Baroche expriment ensemble le voeu que l'empereur reste au front pour partager la victoire finale; voilà pour empêcher son retour.
« Donc, conclut l'impératrice, qu'il reste aux Armées puisque c'est son devoir et que son retour inquiéterait plus qu'il ne réconforterait. Mais qu'il n'exerce plus aucun commandement ! » C'est ce qui va se passer.
Un bonheur n'arrive jamais seul. Elle a convoqué les Chambres le 9. Le jour même, le Corps législatif renverse Émile Ollivier.
Acte doublement dérisoire : si le Corps législatif croit ainsi prendre sa part au redressement nécessaire, il se berce d'illusions; et s'il entend désigner un premier bouc émissaire, il commet une bien piètre injustice. Car après un semestre à peine d'activité, le gouvernement Ollivier ne peut être raisonnablement tenu pour responsable de l'état de l'armée. Au pire, on peut reprocher à son chef, en tant qu'homme politique, d'avoir eu sa part dans une responsabilité collective dont le Corps législatif ne peut lui-même s'affranchir; d'ailleurs, n'est-ce pas celui-ci, bien plus que le président du Conseil, qui a entraîné le pays dans la guerre?
Au mépris des lettres patentes qui définissaient ses pouvoirs de régente, Eugénie dévoile alors son jeu en constituant un nouveau gouvernement très marqué à droite, où l'on retrouve, revenu en force, tout le personnel politique de l'empire autoritaire et que dirige Cousin-Montauban. Peu après, sur proposition de Thiers et de Gambetta, Bazaine est promu par acclamations. Dans la foulée, Jules Favre propose la déchéance de l'Empereur, mais, bien qu'elle se situe dans la logique des décisions précédentes, sa proposition n'est pas retenue.
Louis Napoléon, lui, ne se fait guère d'illusions sur le sens de tout ce qui vient de se produire. A Leboeuf il confie, avec un reste d'humour: « Nous sommes destitués tous les deux. » Le 13, il remet son commandement à Bazaine.
Dès lors, il ne sait plus que faire. Commence pour lui un long chemin de croix au cours
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