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Louis Napoléon le Grand

Louis Napoléon le Grand

Titel: Louis Napoléon le Grand Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Séguin
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d'atteindre le fond de l'abîme: « Jusqu'ici, lisait-on, il n'avait été qu'insensé, aujourd'hui, il est odieux... » « Il a déshonoré le nom qu'il porte... », « Il n'a pas plus d'esprit que de coeur... »
    D'une gazette à l'autre, c'était à qui lui porterait les coups les plus rudes et les plus cruels.
    Le Journal des Débats, pourtant modéré, paraissait exprimer le point de vue général en publiant ces lignes dépourvues de toute aménité: « Les aigles, les proclamations emphatiques, les prétentions impériales de M. Louis Bonaparte n'ont réussi qu'à le couvrir une seconde fois d'odieux et de ridicule [...]. En vérité, l'excès de folie que dénote une pareille entreprise confond [...]. Ceci passe la comédie; on ne tue pas les fous, on les enferme. »
    De son côté, la presse anglaise — la presse de ce pays où il avait trouvé refuge et pensait avoir suscité bien des sympathies — l'accable elle aussi, se refusant à lui trouver la moindre circonstance atténuante.
    Le Sun écrit: « Il serait de la dignité et de l'intérêt du Gouvernement français de l'enfermer dans un asile de fous. »
    Le Times prétend, pour sa part, que« s'il avait reçu une balle, c'eût été après tout la meilleure fin d'un aussi mauvais imbécile ».
    Le Morning Post le décrit comme un « maniaque ridicule ».
    Jusqu'au roi Louis, son père qui, croyant sans doute bien faire, implore la clémence, en imputant tout cela à un simple « égarement » de son fils.
    Et cependant, pour celui-ci, Boulogne ne sera pas à terme une si mauvaise affaire. Le gouvernement, en effet, va se mettre en tête de le juger. Et de le juger dans des formes qui, lui accordant beaucoup d'honneur, feront oublier tout ce qu'on avait pu dire au départ sur le caractère dérisoire de son initiative. On décide en effet que Louis Napoléon comparaîtra devant la Chambre des pairs, rien de moins!
    Ce calcul erroné aura une double conséquence.
    D'abord, Louis Napoléon va occuper le devant de la scène, en obtenant une chance de montrer qu'il vaut beaucoup mieux que l'image qu'on a donnée de lui. Et puis, il pourra faire mieux connaître ses idées, ayant pour la première fois l'occasion de s'exprimer devant le pays tout entier, depuis cette tribune inespérée qu'on lui offre si stupidement.
    Paradoxalement, alors que chacun paraissait définitivement convaincu d'avoir affaire à un fou, le beau rôle sera pour lui. Car, d'abord, il est seul contre tous, et c'est le meilleur des atouts. Lorsque Robert Hersant, cent quarante-cinq ans plus tard, accepta de participer à une émission télévisée qui tenait du tribunal d'exception, il eut la bonne idée de venir sans escorte: il avait probablement gagné la partie avant même de l'avoir commencée.
    Louis Napoléon, d'autre part, arrive avec toute sa résolution et sa conviction. Et qui trouve-t-il en face de lui : présidés par Pasquier, les pairs — dont beaucoup n'ont survécu à des régimes successifs qu'à force de reniements et de lâchetés. Louis Napoléon ne pouvait rêver meilleurs faire-valoir. Et les pairs s'en rendent compte qui paraissent bien plus embarrassés que lui.
    Berryer, le grand avocat légitimiste, que le prince a eu l'habileté de choisir en même temps que le républicain Marie, ne se fait pas faute d'enfoncer le clou.
    Il sait dire leur fait à tous ceux de ces hommes qui doivent leur carrière à Napoléon I er , ou à la Restauration, quand ce n'est pas aux deux à la fois, et qui sont là aujourd'hui pour être le bras vengeur... de Louis-Philippe :
    « On veut vous faire juges,
    « On veut vous faire prononcer une peine contre le neveu de l'Empereur. Mais qui êtes-vous donc? Comtes, Barons, vous qui fûtes Ministres, Généraux, Sénateurs, Maréchaux, à qui devez-vous vos titres, vos honneurs? A votre capacité reconnue, sansdoute, mais ce n'est pas moins aux munificences de l'Empire... Avant de juger, dites, le droit, les lois devant les yeux, la main sur la conscience: devant Dieu et devant mon pays, s'il eût réussi, s'il eût triomphé, j'aurais nié son droit, j'aurais refusé toute participation au pouvoir, je l'aurais méconnu, je l'aurais repoussé... Moi j'accepte cet arbitrage suprême; celui qui, s'il avait réussi, aurait nié son droit, celui-là, je l'accepte comme juge... »
    Louis Napoléon ne sera pas en reste, et saura tirer remarquablement son épingle du jeu. Il trouve les mots justes, qui font mouche. Non sans mérite. Car

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