Louis Napoléon le Grand
il n'aime guère les assemblées, et n'est pas un bon orateur. Mais, là, il trouve au fond de lui-même la force de dire ce qui convient et d'impressionner son auditoire.
« Je représente, prévient-il, un principe, une cause, une défaite. Le principe, c'est la souveraineté du peuple, la cause, celle de l'Empire, la défaite, Waterloo. Le principe, vous l'avez reconnu; la cause, vous l'avez servie; la défaite, vous voulez la venger. »
C'est du très bon, du très grand Louis Napoléon.
Évidemment, il conteste la compétence du tribunal:
« Représentant d'une cause politique, je ne puis accepter comme juge de mes volontés et de mes actes une juridiction politique [...].
« Si vous êtes les hommes du vainqueur, je n'ai pas de justice à attendre de vous et je ne veux pas de votre générosité... »
Après cela, le réquisitoire du procureur général Carré tombe quelque peu à plat. Berryer, en l'entendant, dut se dire que c'était pain bénit:
« L'épée d'Austerlitz ! Elle est trop lourde pour vos mains débiles. Cette épée, c'est l'épée de la France. Malheur à qui tenterait de la lui enlever [...].
« Qui donc êtes-vous pour vous ériger en représentant de la souveraineté du peuple sur cette terre où règne un prince que la Nation a choisi et auquel elle a remis elle-même le sceptre et l'épée ? Qui donc êtes-vous pour vous donner en France comme un représentant de l'Empire, époque de gloire et de génie, vous qui étalez tant de misère dans vos entreprises, qui donnez par vos actes tant de démentis au bon sens? »
L'orientation de la contre-attaque de l'avocat était toute tracée. Pour lui, la tentative de 1840 était ni plus ni moins légitime que celle de Louis-Philippe en 1830. Le seul tort de Louis Napoléonc'est d'avoir échoué: « Le Prince Louis Napoléon est venu contester la souveraineté de la Maison d'Orléans; il est venu en France réclamer pour sa propre famille les droits à la souveraineté. Il l'a fait au même titre et en vertu du même principe que celui sur lequel vous avez posé la royauté d'aujourd'hui. »
Tout était dit.
Cela ne pouvait évidemment servir à grand-chose. Louis Napoléon devait être condamné; il le fut. Du moins eut-il la satisfaction de constater que près de la moitié des pairs s'était abstenue. Les autres s'étaient résolus à innover dans le domaine juridique, en inventant pour Louis Napoléon la peine de la détention perpétuelle en forteresse.
Le 7 octobre, le registre d'écrou du fort de Ham, dans la Somme, non loin des limites de l'Aisne, décrit un nouvel arrivant: « Agé de trente-deux ans. Taille d'un mètre soixante-six. Cheveux et sourcils châtains. Yeux gris et petits. Nez grand. Bouche moyenne. Barbe brune. Moustache blonde. Menton pointu. Visage ovale. Teint pâle. Tête enfoncée dans les épaules et épaules larges. Dos voûté. Lèvres épaisses. »
Louis Napoléon, dont il s'agit, entame une longue détention.
***
Les pairs et Louis-Philippe comprirent-ils jamais qu'ils avaient rendu à Louis Napoléon un signalé service?
Ce n'est pas sûr. Il n'était d'ailleurs pas évident que Louis Napoléon aurait suffisamment de courage et de volonté pour ne sombrer ni dans la dépression ni dans l'indolence. Son grand mérite fut de prendre sur soi, en décidant de faire le meilleur usage des années d'isolement qu'on allait lui imposer.
Isolement tout relatif, il est vrai.
Pour n'être pas franchement libérales, les conditions de sa détention comportent quelques éléments de souplesse. Montholon et Conneau ont pu l'accompagner en captivité. Si le fort n'est guère confortable, Louis Napoléon y occupe un appartement relativement bien aménagé. Il y est entouré d'objets familiers et chers à son coeur, dont le choix est significatif: un portrait de sa mère, des bustes de Napoléon I er et de Joséphine, des soldats de plomb de la Garde impériale.
Les visites n'étaient ni quotidiennes ni même hebdomadaires, mais suffisamment régulières pour le maintenir en contact avec le monde extérieur.
Louis Napoléon s'est d'autant plus aisément résigné à sa détention que, comme il l'écrit en 1841 à lady Blessington: « Je ne désire pas sortir de ces lieux où je suis, car ici je suis à ma place; avec le nom que je porte, il me faut l'ombre d'un cachot ou la lumière du pouvoir. »
Cependant, il y a des moments difficiles, très difficiles. En particulier, lors du retour des cendres de Napoléon
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