Louis Napoléon le Grand
pas dépourvu d'arrière-pensée quand il se prononçait pour la validation: « Ne grandissez pas des prétendants par l'éloignement. Il nous convient de les voir de près, alors nous les mesurons mieux! »
Ernest Renan ne disait pas autre chose : « On a pris le bon moyen pour le rouler bas: c'est de le laisser venir et prouver lui-même son incapacité. »
Eh bien, il faudra attendre. Que sa fortune puisse reposer sur des ambiguïtés et, pire, sur des équivoques, qu'importe! Ce n'est pas à Louis Napoléon de les dissiper. Il a ses convictions, qu'il a forgées à force de travail, de volonté, de solitude et d'échecs. Il a un but. La situation est confuse ? Ce n'est pas à lui de la démêler. Puisque la confusion le sert, pourquoi ne pas la prolonger?
Et, de même, pourquoi eût-on voulu que de Gaulle, le 13 mai 1958, condamnât qui que ce fût, prît un parti, alors que le gouvernement s'en abstenait? Là aussi, la solution consiste à prendre du recul, et à lancer à la ronde : « Je m'en vais rentrer dans mon village et je m'y tiendrai prêt, à la disposition du pays. » Louis Napoléon ne fait rien d'autre.
Et tout montre que l'attente lui profite, comme elle profitera à de Gaulle. Le mythe grandit, il enfle.
Proudhon ne s'y trompe pas: « Il y a huit jours, le citoyen Bonaparte n'était encore qu'un point noir dans un ciel en feu; avant-hier, il n'était encore qu'un ballon gonflé de fumée; aujourd'hui, c'est un nuage qui porte dans ses flancs la foudre et la tempête. »
Voilà comment on peut peser sur l'événement sans y prendre part. D'autant qu'entrer dès maintenant dans le jeu politique et parlementaire n'aurait que des inconvénients. Louis Napoléon est encore mal armé pour l'affronter. En dehors de ses quelques fidèles, il n'a ni amis, ni soutiens.
Ferrère dans ses Révélations a bien décrit les choses : « Nous avions contre nous le Gouvernement provisoire, la majorité de l'Assemblée Constituante, toute la presse, la police, le commandement de la Garde Nationale, le commandement militaire, les chefs de la Garde Mobile, les Socialistes du Luxembourg, les chefs des Ateliers Nationaux, une partie des Orléanistes et tous les employés dans les Administrations. »
En prolongeant son éloignement, Louis Napoléon va pouvoir éviter de se laisser entraîner à prendre parti dans les déchirements qui vont suivre. Or ces déchirements, il le pressent, sont imminents et inévitables.
L'émeute menace, elle gronde, elle éclate. Et le pouvoir ne peut la tolérer. Marx relate : « Les revendications du prolétariat parisien sont des bourdes utopiques avec lesquelles il faut finir. A cette déclaration de l'Assemblée nationale constituante, le prolétariat parisien répondit par l'insurrection de juin, l'événement le plus colossal des guerres civiles européennes. »
Le gouvernement a en effet décidé d'en finir avec la pagaille et le gaspillage d'argent que provoque le fonctionnement ubuesque des Ateliers nationaux, ateliers que le rapport Falloux assimile à une « grève permanente et organisée à 170 000 francs par jour ».
Mais les ouvriers refusent d'avoir à choisir entre le licenciement et le départ vers des chantiers en province. Alors la République, qui est entre les mains des hommes d'ordre auxquels l'élection du 23 avril a donné la majorité, va faire tirer sur le peuple. Cavaignac organise et dirige la répression. Du 24 au 26 juin la bataille fait rage...
Souvenons-nous de ces chiffres terribles, qui semblent sortis de notre mémoire, alors que, pour beaucoup moins que cela, le second Empire continue d'être condamné:
Quatre cents barricades ; quarante mille insurgés cernés, car Cavaignac, qui dirige la manoeuvre, a abandonné provisoirement le terrain à l'émeute pour mieux l'écraser; cinq mille morts dont un grand nombre par exécutions sommaires ; quinze mille arrestations ; quatre mille déportés.
C'est la fin de toutes les illusions. Pour achever de les dissiper, des mesures suivent: les sociétés secrètes, qui avaient proliféré, sont pourchassées ; la durée du travail est relevée de dix à douze heures; le cautionnement sur la presse est rétabli.
L'ordre règne à nouveau, si l'on peut dire, car la crise économique et le chômage n'en finissent pas de s'aggraver. Le calme ne revient pas. L'opinion est ébranlée. Les uns ne se sentent nullement rassurés; les autres développent envers leurs tortionnaires une haine implacable et
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