Louis Napoléon le Grand
de l'émeute ». Comme par enchantement, un grand mouvement de propagande se met plus ou moins spontanément en marche: portraits, biographies, articles se multiplient. Quelques journaux, inattendus, apparaissent.
Des groupes se forment — c'est presque une manifestation — dans l'espoir de l'accueillir à son arrivée à la Chambre, le jour de sa première réunion. Mais lui n'y paraît pas. Nouvel acte de prudence et nouvelle démonstration d'habileté... Un acte de prudence, car si la loi de bannissement est bien en voie d'être rapportée, rien ne dit que, dans ces circonstances incertaines, il ne viendrait pas à l'idée de quelque membre du gouvernement de l'appliquer quand même, ou à une majorité de l'Assemblée de la rétablir. Une démonstration d'habileté : car il donne une preuve supplémentaire de son désintéressement supposé ; que gagnerait-il à venir se mêler à un débat dont il sait que, fatalement, sans avoir à se déranger, il occupera le centre?
Louis Napoléon sera exaucé au-delà de ses espérances les plus folles ; le problème de la validation de son élection va déclencher une très vive polémique et même ébranler la Commission exécutive, avatar du Gouvernement provisoire.
Aux yeux de cette Commission, en effet, il ne fait aucun doute que Louis Napoléon est devenu un homme dangereux. On a voté pour lui dans les rangs socialistes, parmi les chômeurs des Ateliers nationaux, et ceux du Luxembourg. Dans la rue, on l'acclame aussi fort que Barbès et Louis Blanc. Compte tenu de ce qu'il a écrit et de ce que l'on en sait, il pourrait s'imposer comme leporte-drapeau de cette démocratie sociale qu'on redoute, voire comme le chef de l'insurrection qui menace. Rémusat l'écrira plus tard : « Ses liaisons étaient plus dans le parti ultra-démocratique que dans le nôtre. »
Et comment observer sans appréhension ces cortèges qui allaient et venaient aux cris de « nous l'aurons, nous l'aurons ! Poléon! la Sociale! »
L'amalgame socialo-bonapartiste est une éventualité qui ne peut être acceptée. Ce serait un désastre...
Alors, Lamartine, Cavaignac, et leurs collègues, non seulement ne veulent pas de la validation, mais sont prêts à envisager l'arrestation du prince, au cas où celui-ci mettrait à nouveau le pied sur le sol de France.
Double erreur. Qui va leur coûter cher.
D'abord, la commission d'invalidation, bafouant la Commission exécutive, décide de confirmer l'élection de Louis Napoléon. Aux voix de droite se sont jointes en effet quelques voix de gauche, entraînées par Louis Blanc. Et puis, le prince se trouve placé, une fois encore, en position de victime, et pourra se donner le beau rôle, à un moment où tous les feux de l'actualité sont braqués sur lui.
Louis Napoléon va procéder en deux temps, comme pour ménager ses effets. Le 14 juin, il adresse une première lettre au président de l'Assemblée.
Ayant appris que son élection servait « de prétexte à des troubles déplorables et à des erreurs funestes », il déclare reporter sa venue : « Je n'ai pas recherché l'honneur d'être représentant du peuple parce que je savais les soupçons injustes dont j'étais l'objet; je rechercherai encore moins le pouvoir. Si le peuple m'impose des devoirs, je saurai les remplir; mais je désavoue tous ceux qui me prêteraient des intentions que je n'ai pas. »
Là, il a sans doute fait — involontairement — un peu fort. La mention de ses « devoirs » pourrait devenir, malgré lui, une « petite phrase » fort embarrassante. Il a oublié de surcroît de parler de la République alors qu'il est de bon ton de n'avoir que ce mot à la bouche. Mais il va se rattraper prestement.
Dès le 16 juin, le président de la Chambre trouve sur son bureau une nouvelle lettre. Le prince y annonce, tout simplement, sa démission: « Monsieur le Président, je crois devoir attendre pour rentrer dans le sein de ma patrie que ma présence en Francene puisse servir de prétexte aux ennemis de la République... Je veux que ceux qui m'accusent d'ambition soient convaincus de leur erreur. »
Le tour est joué : on voulait de la République, on en a. Quant à lui, il ne saurait être le jouet inconscient de ceux qui ne la veulent pas. Il a décidément beaucoup appris. L'écervelé qui fonçait tête baissée à Forli, à Strasbourg, à Boulogne, sait, désormais, manoeuvrer.
Il a évité le piège qui lui était tendu. Car Louis Blanc, par exemple, n'était
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