Louis Napoléon le Grand
Napoléon décide de partir pour Paris. Il l'annonce à sa cousine, la marquise de Douglas: « Je vais à Londres et, de là, à Paris. La République est proclamée, je dois être son maître. »
Imagine-t-il lui-même que cet inimaginable programme, il va le remplir à la lettre?
Il embarque le 27 février avec deux de ses fidèles, Orsi et Thélin, le jour même où, à Honfleur, Louis-Philippe cherche un bateau pour une traversée en sens inverse. Les trois hommes ontdes passeports anglais; à tout hasard — décidément, on ne se refait pas — Louis Napoléon s'affuble d'une moustache postiche. A Calais, ils prennent le train, et les voici à Paris où ils s'installent à l'hôtel des Princes, rue de Richelieu. Les autres prisonniers du coup de Boulogne ont été libérés et constituent autour de lui un petit groupe: Vieillard, qui est député de la Manche, est ainsi rejoint par Persigny, le général Piat et le lieutenant Laity.
Il faut maintenant se manifester. Louis Napoléon écrit au Gouvernement provisoire pour lui signaler sa présence, déclarer son adhésion à la République et se présenter, humblement, comme un simple citoyen à son service: « Messieurs, le peuple de Paris ayant détruit par son héroïsme les derniers vestiges de l'invasion étrangère, j'accours pour me ranger sous le drapeau de la République que l'on vient de proclamer. Sans autre ambition que celle de servir mon pays, je viens annoncer mon arrivée aux membres du Gouvernement provisoire et les assurer de mon dévouement à la cause qu'ils représentent comme de ma sympathie pour leurs personnes. »
Ledit Gouvernement provisoire a alors suffisamment de problèmes, occupé qu'il est à doter d'un semblant d'organisation le nouveau régime et à contenir la pression de la rue, pour accepter que se crée une difficulté supplémentaire avec cet encombrant personnage. Lamartine se dévoue pour le lui signifier et le prier aimablement de retourner d'où il vient; pour le moment du moins. C'est civilement mais fermement dit: « Il n'est nullement dans les intentions du Gouvernement de s'opposer au séjour du Prince en France, mais dans la situation où se trouve le Gouvernement, avec le pouvoir qu'il a, il le prie de quitter Paris jusqu'à ce que Paris soit dans un état plus calme et jusqu'à la réunion de l'Assemblée. »
Autour de Louis Napoléon, tout le monde n'est pas d'accord sur l'opportunité d'obtempérer. Persigny, en particulier, est partisan d'un refus qui conduirait le Gouvernement provisoire à une réaction brutale. « Faites-vous expulser par la violence ou emprisonner, conseille-t-il au prince. La violence sera profitable à votre cause: les sympathies vont toujours aux persécutés. »
D'expérience, Louis Napoléon est mieux placé que quiconque pour savoir que ce beau principe n'est pas toujours vérifié. Il décide autrement. Le gouvernement veut son départ. Il partira. C'est une manière de prouver la sincérité de sa démarche. Il n'oublie pas non plus que, légalement, il reste un proscrit. Son choix est donc celui de la prudence. Première habileté.
Il sent bien qu'il n'aurait pas grand-chose à gagner dans la confusion présente : réduit, avec d'autres, au rôle de comparse, sa voix ne porterait guère au milieu du tintamarre.
Il répond donc qu'il s'exécute : « Messieurs, vous pensez que ma présence est un sujet d'embarras ; je m'éloigne donc momentanément. Vous verrez, dans ce sacrifice, la pureté de mes intentions et de mon patriotisme. »
Le 1 er mars, il est à Boulogne, le 2 en Angleterre. Une fois rentré à Londres, on l'imagine sans peine en train de piaffer d'impatience. La lecture des journaux anglais et des rapports qu'on lui adresse l'occupe bien un peu ; et il a des lettres à écrire ; mais cela ne suffit visiblement pas à tromper son attente.
Alors, à titre de dérivatif, il prend une initiative surprenante dont il ne peut ignorer pourtant qu'elle va susciter à Paris perplexité et sarcasmes: celle de s'engager dans le corps de volontaires — les special constables — chargé d'épauler la police locale à l'occasion de manifestations de rues... en faveur du suffrage universel. Louis Napoléon Bonaparte « policeman », voilà ce qu'on va retenir en France de l'épisode et le portrait déjà peu flatteur qu'on fait de lui ne s'en trouve pas amélioré ; et qu'importe — une fois encore — si l'intéressé ne revêtit jamais l'uniforme et si son activité se
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