Louis Napoléon le Grand
tel qu'il a tort, alors que tous, à leur manière, ont raison? Faire la synthèse, c'est la tâche du chef de l'État. Et c'est cela gouverner...
Comment lui reprocher, d'ailleurs, de se montrer plus habile que Cavaignac?
Le chef du pouvoir exécutif, en effet, a choisi de trancher de tout, d'exprimer ses préférences et de s'engager à fond. Il est clair qu'après ses exploits de juin il n'a plus de soutien à espérer en dehors de la droite, qu'elle soit républicaine ou non.
La droite qui peine à trouver sa voie, empêtrée qu'elle est dans ses divisions et la contradiction de ses arrière-pensées.
Des candidats potentiels, elle n'en manque pas, et qui portent beau, même s'ils sont encore trop marqués par le régime aboli : Molé, Changarnier, Thiers, Bugeaud...
Elle ferait bien affaire avec ce Cavaignac qui, comme rempart de l'ordre social, a fait ses preuves. Cependant, non seulement celui-ci ne veut faire aucune concession, mais il ne craint pas d'annoncer que ses chemins ne seront pas toujours ceux qu'on souhaiterait lui voir emprunter... Face à lui, le prince paraît si complaisant, si facile à mener.
Rémusat le répète : « On ne voyait en lui qu'un conspirateur absurde, un émigré d'un nouveau genre, un dandy vieillot et dissipateur et rien dans ses manières n'était fait pour en donner une autre idée [...]. On savait en gros qu'il avait publié plusieurs écrits assez peu sensés... »
Là, réside l'une des clés du succès pour Louis Napoléon: empêcher, à tout prix, la jonction de Cavaignac et des conservateurs de tous bords. Il y parviendra d'autant mieux qu'il donnera toujours davantage l'impression de jouer gagnant.
Louis Napoléon affiche la plus grande sérénité. Plus on se laissera persuader qu'il a les meilleures chances de gagner, plus nombreuses seront les adhésions et les simples résignations.
Gustave Claudin, journaliste, raconte sa propre visite: « Le Prince Louis Napoléon, en habit et cravate blanche, était debout devant la cheminée. Il avait près de lui une table sur laquelleétaient empilées des pétitions que lui apportaient les solliciteurs qui, le croyant déjà élu, lui demandaient des places depuis des bureaux de tabac jusqu'à des sous-préfectures et des recettes particulières. Le Prince était très affable. »
C'est que, de la province, monte la rumeur du ralliement massif du monde paysan. Certes, joue en sa faveur le prestige de son nom, mais Louis Napoléon touche aussi les dividendes de sa prudence. Il n'est impliqué en rien dans les événements qui se sont succédé depuis février, les déceptions ou les rancoeurs qu'ils ont suscitées.
Fleury a peut-être raison de soutenir que « l'idée napoléonienne avait servi de tremplin au Gouvernement de juillet et qu'il s'en était pendant quinze ans approprié la popularité. Rien d'extraordinaire dès lors de voir tout un monde d'hommes ambitieux et intelligents se tourner vers celui qui personnifiait la cause dont ils avaient exhumé le souvenir et les gloires ».
En réalité, l'essentiel est ailleurs : Louis Napoléon s'est mis en position de pouvoir bénéficier, mieux que quiconque, de la conjonction de tous les mécontentements: mécontentement, d'abord, des paysans, furieux de la chute des prix des récoltes accompagnée de la hausse des impôts directs; mécontentement aussi de toutes les autres victimes d'une crise en aggravation: bourgeois ruinés, ouvriers en chômage, industriels et artisans sans commandes, commerçants en faillite...
Vers qui pourraient-ils se tourner si ce n'est vers lui? Hors Cavaignac, les autres candidats n'ont rien, ou presque, à lui opposer: Lamartine est totalement déconsidéré; Ledru-Rollin, qui va représenter la gauche républicaine, a peu d'audience en province et ne paraît guère apte à séduire ceux des socialistes qui ne se reconnaîtraient pas en Raspail, le candidat révolutionnaire...
Alors, à droite, on n'a plus guère de choix.
Thiers, qui était allé solliciter le roi Jérôme, se fait une raison : « Sans affirmer que la nomination de M. Louis Bonaparte soit le bien, elle paraît à nous tous, hommes modérés, un moindre mal. »
Molé émet l'idée, et la colporte, que l'élection de Louis Napoléon sera une étape vers le rétablissement de la royauté.
Et Berryer entretient la même illusion : « Il essuiera les plâtres pour qu'à son retour, Henri V les trouve secs... »
Dans ces conditions, tout invite à adopter pour la
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