Louis Napoléon le Grand
campagne ce qu'on appelle un « profil bas » : ne pas commettre d'erreur,gérer l'acquis, et ne faire ni réunion ni déplacement en province. De toute façon, on n'aurait pas le temps. On se contente donc de quelques sorties dans Paris, plutôt à proximité des casernes, où les soldats, sinon les officiers, sont prompts à l'enthousiasme. Et on laisse à d'autres les campagnes de banquets...
Peu de journaux sont réellement acquis à Louis Napoléon. En dehors des feuilles bonapartistes, il semble que, lorsque certains organes de presse le choisissent, c'est généralement faute de mieux.
Et même, si l'on en croit André Jean Tudesq, leur choix n'est que tardif: « Ceux qui contribuèrent au triomphe électoral de Louis Napoléon ne se rallièrent souvent à son nom que peu de semaines avant le vote et, quelques mois plus tôt, en juin ou en septembre, avaient été les premiers à critiquer sa désignation comme représentant du peuple... »
Il n'est guère que le ralliement de l'Événement, le journal de Hugo, qui puisse passer pour significatif. De son premier article en ce sens, le 28 octobre, on peut extraire ceci — qui ne manque pas de saveur, quand on sait ce qui adviendra par la suite : « Nous lui faisons confiance. Il porte un grand nom. L'Europe ne peut connaître un grand et un petit Napoléon. Ce nom ne peut pas se rapetisser. »
On va néanmoins compenser le déficit en journaux favorables par une certaine inflation des affiches et prospectus, sans se montrer trop regardant sur les méthodes.
On va ainsi reproduire, à l'insu des expéditeurs, d'anciennes lettres adressées au prince par George Sand et Louis Blanc. Quant aux textes d'accompagnement, ils présentent les caractéristiques propres à toute campagne ; on n'y fait pas dans la dentelle : « La Nation doit se confier à un passé sans reproche, à un patriotisme incontesté, à une résolution mâle, énergique, déjà éprouvée au service de la République plutôt qu'à de vaines et trompeuses promesses. »
Sur le terrain, on utilisera comme agents électoraux toute une armée d'anciens demi-solde disponibles et convaincus. Ils font merveille.
Ce n'est qu'à la fin de la campagne, en toute dernière extrémité, le 27 novembre, alors qu'on doit voter le 10 décembre, que Louis Napoléon publiera un manifeste, largement repris par la presse et diffusé en outre par ses soins.
Ce texte il l'a rédigé lui-même. Thiers l'a trouvé mauvais et a essayé de lui en imposer un autre qu'il avait écrit avec Molé. Mais Louis Napoléon n'en a pas voulu. Il n'a pas eu tort. Le sien est excellent, parce que redoutablement efficace.
Il y place sa candidature sous le double signe de l'ordre et de la sécurité. En d'autres termes, il rejette à la fois l'Empire et la guerre, et les théories subversives. En revanche, il affirme vouloir protéger « la religion, la famille, la propriété, base éternelle de tout ordre social:
« Rétablir l'ordre, c'est ramener la confiance, pourvoir par le crédit à l'insuffisance passagère des ressources, restaurer les finances. Protéger la religion et la famille, c'est assurer la liberté des cultes et la liberté de l'enseignement. Protéger la propriété, c'est maintenir l'inviolabilité des produits de tous les travaux, c'est garantir l'indépendance et la sécurité de la possession, fondements indispensables de la liberté civile. »
Il n'oublie pas pour autant qu'il est l'auteur de l'Extinction du paupérisme et qu'il vise à rassembler sur son nom le maximum de voix ouvrières.
Son chapitre social ne saurait donc manquer d'ambition: « [...] Donner du travail aux bras inoccupés; pourvoir à la vieillesse des travailleurs par les institutions de prévoyance ; introduire dans nos lois industrielles les améliorations qui tendent, non à ruiner le riche, mais à fonder le bien-être de chacun sur la prospérité de tous... »
Et pour faire bonne mesure, il termine par un appel à l'union nationale : « J'appelle de tous mes voeux le jour où la patrie pourra sans danger faire cesser toutes les proscriptions et effacer les dernières traces de nos discordes civiles. »
Dans le camp adverse, on ne fait pas non plus dans la subtilité... Sans parler des caricaturistes qui, tels Daumier et Cham, se déchaînent, il suffit de se reporter, par exemple, au Moniteur de l'Armée , qui met carrément en cause le patriotisme de Louis Napoléon : « C'est à la France de juger si elle peut compter
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