Louis Napoléon le Grand
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Étrange aveuglement, décidément, que celui des faiseurs de roi, de pape, de président, d'empereur...
Étrange aveuglement de ceux qui, ayant le pouvoir de désigner ou d'éliminer, opèrent un choix de nature à assurer, selon eux, une période de transition, d'immobilisme et d'attente, et découvrent que l'homme dont ils pensaient qu'il serait docile et effacé s'affirme comme un véritable chef, prêt le cas échéant à exercer des représailles.
Étrange aveuglement, qui empêche de discerner combien la grandeur de la fonction, parfois, peut grandir l'homme qui l'assume. Étrange aveuglement, qui conduit à se tromper si souvent sur les hommes eux-mêmes.
On choisit un cardinal, Roncalli pour en faire un pape de transition et, quelques mois plus tard, débute un concile destiné à ouvrir la voie à de considérables réformes. Ou bien encore, on retient comme maire de Marseille le plus petit commun dénominateur — disons le moindre des « enquiquineurs »... — et, peu de temps après, Robert Vigouroux a tout balayé sur son passage, se fait réélire triomphalement, et le voilà parti pour l'un des mandats municipaux les plus autoritaires de toute l'histoire de la ville.
En tout cas, avec Louis Napoléon, tout ce petit monde va être servi.
Pour l'heure, le prince peut engranger une mesure qui le sert :deux jours après l'affaire Thouret, il est décidé d'abolir la loi de prescription.
Il lui reste à annoncer sa candidature à la présidence de la République. Pas question de perdre trop de temps car, si la Constitution ne doit être définitivement votée que le 4 novembre, la date de l'élection est fixée à la fin de la première décade du mois suivant.
Son entrée en lice va s'effectuer dans des conditions inespérées pour lui. On lui offre, comme sur un plateau, de quoi assurer à sa candidature la plus large des publicités ; mieux, on lui procure le moyen de la faire paraître normale, légitime, nécessaire, évidente.
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Tout commence par la publication dans la presse du 24 octobre d'une note inspirée par l'entourage de Louis Napoléon : « Des personnes bien informées ayant averti le représentant Louis Napoléon Bonaparte que des insensés travaillaient dans l'ombre à préparer une émeute en son nom dans le but évident de le compromettre aux yeux des hommes d'ordre et des Républicains sincères, il a cru devoir faire part de ces bruits à Monsieur Dufaure, Ministre de l'Intérieur. Il a ajouté qu'il repoussait énergiquement toute participation à des menées si complètement opposées à ses sentiments politiques et à la conduite qu'il a tenue depuis le 24 février. »
S'agit-il d'une provocation? Rien n'est moins sûr.
Il est plus probable que ce texte, comme tant d'autres initiatives, cherchait à rassurer sur la démarche du prétendant et à souligner sa volonté légaliste. Ce qu'il y a de sûr c'est que les adversaires de Louis Napoléon vont tomber dans le panneau qui leur a été involontairement ouvert.
Dès le lendemain, accusé par Victor Grandin, sur la base de cette lettre, de ne rien faire contre les fauteurs de désordre, Dufaure, ministre de l'Intérieur, se défend maladroitement et assure devant l'Assemblée qu'il a déclaré à Louis Napoléon qu'aucune émeute ne se préparait en son nom. Il va sans dire que cette proclamation suscite l'hilarité générale.
Cherchant à rétablir la situation, le député Clément Thomas croit devoir prendre la parole, pour faire ressortir que tout cela est fort sérieux : « Vous ne pouvez pas nier qu'il n'y ait ici despersonnes, des membres de l'Assemblée qui vont se présenter au pays comme candidats à des fonctions très élevées et très graves... Ce n'est pas en s'abstenant dans les votes les plus significatifs, qu'on peut gagner la confiance d'un pays démocratique... Celui dont il est question et qui se porte candidat à la présidence n'est pas un candidat à la présidence, mais un candidat à l'Empire. »
Le débat a été houleux. Dans un premier temps, au moins, on peut penser qu'il a tourné à la confusion de Louis Napoléon qui, d'ailleurs, n'assistait pas à la séance.
C'est en tout cas l'opinion du journal le National qui l'affirme sans ambages le 26 octobre : « L'incident dont il a été l'occasion lui aurait appris que tous les moyens ne sont pas bons pour occuper de soi le public, que la nation française est railleuse de sa nature et que le charlatanisme a chez nous peu de chance
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