Louis Napoléon le Grand
clairement, son choix est celui d'une voie moyenne entre la révolution et la réaction.
« A peine les dangers de la rue étaient-ils passés, fulmine-t-il, qu'on a vu les anciens partis relever leurs drapeaux [...]. Au milieu de cette confusion, la France, inquiète parce qu'elle ne voit pas de direction, cherche la main, la volonté de l'élu du 10 décembre. Or, cette volonté ne peut être sentie que s'il y a communauté d'idées et de vues, de convictions entre le Président et ses Ministres et si l'Assemblée elle-même s'associe à la pensée nationale dont l'élection du pouvoir exécutif a été l'expression. »
La résolution de Louis Napoléon est désormais claire : gouverner par lui-même, avec sa propre équipe.
De fait, le 31 octobre 1849, il renvoie Odilon Barrot. Il n'y aura plus de président du Conseil. La constitution du nouveau gouvernement dont d'Hautpoul est la personnalité la plus marquante marque un tournant beaucoup plus important qu'il n'y paraît. Désormais il entend jouer sa partie, avec tous les moyens dont il dispose.
C'est le moment que choisit Victor Hugo pour passer définitivement à gauche. Ses rapports avec le parti de l'Ordre n'avaient cessé de se détériorer depuis quelques mois: il était, en effet, favorable à une politique sociale que les positions réactionnaires de la majorité interdisaient à l'évidence. Du coup, il avait conduit la fronde contre la loi Falloux, qui remettait en cause les acquis desdécennies passées et tendait à réintroduire la prédominance du clergé sur l'enseigement primaire et secondaire.
Si Hugo franchit alors le pas, c'est surtout que sa rupture personnelle avec Louis Napoléon est consommée. Le poète n'a pas pardonné au président de l'avoir laissé défendre la lettre à Edgar Ney, et de paraître peu après le lâcher. En fait, il y a un malentendu entre les deux hommes, qui tient à une différence de perspective. Hugo est un témoin, tout d'une pièce, entier, total. Louis Napoléon est un acteur, le principal acteur et, dans un contexte hostile, il doit ruser et composer pour arriver à ses fins.
Effectivement, il a laissé Barrot, devant l'Assemblée, limiter la portée de sa lettre. Cela lui semblait de peu d'importance : cette lettre avait été publiée, et ce qui devait être dit l'avait été. Hugo considéra, lui, que Barrot était le porte-parole présidentiel et que Louis Napoléon, faisant machine arrière, l'avait désavoué... et ridiculisé — ce qui n'avait jamais été dans l'intention du prince.
L'épisode de la loi Falloux n'arrangea rien. Il est plus que probable que le contenu de ce texte n'enthousiasmait pas davantage Louis Napoléon que Victor Hugo, qui prononça à cette occasion un discours inscrit pour toujours dans les annales de l'éloquence parlementaire. Mais le président savait bien qu'il lui fallait continuer à jouir des faveurs de l'électorat catholique. Alors, il avait laissé faire. Une fois de plus. En attendant son heure. Avec la ferme conviction que cela hâterait son heure. Mieux encore, Falloux était probablement le seul membre du ministère Barrot à lui devoir son portefeuille.
On a souvent prétendu que Hugo s'était opposé à Louis Napoléon parce que celui-ci ne l'avait pas invité à participer à l'équipe qu'il allait substituer à celle de Barrot. Ce serait faire injure à notre grand poète que de reprendre cette thèse, plus que douteuse ; pourquoi ne pas le croire quand, le 10 décembre 1848, il écrivait à Paul Lacroix: « Ne voyez pas en moi un ministre... je veux l'influence et non le pouvoir. »
Sans doute aurait-il été encore temps pour qu'une marque de faveur débouchât sur une réconciliation. Il semble que le président y a songé, mais qu'au moment où il voulait imposer son autorité, il a renoncé à l'idée d'introduire dans la bergerie gouvernementale un personnage si encombrant.
Du coup, la gauche allait faire une recrue de choix. Une gauche dont les élections partielles vont d'ailleurs montrer qu'elle n'a rien perdu de son audience.
Le 10 mars 1850, le scrutin organisé pour pourvoir aux trente sièges qu'avaient dû abandonner les participants, arrêtés ou en fuite, à l'affaire du 13 juin — qu'avait montée Ledru-Rollin pour protester contre la politique romaine du gouvernement — en accorda vingt aux démocrates, qui raflèrent notamment les trois sièges mis en jeu à Paris. Un mois et demi plus tard, Eugène, seul candidat montagnard,
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