Louis Napoléon le Grand
engagée.
Comme il se doit, Thiers n'est pas le juge le moins sévère, même si sa correspondance avec Mignet laisse transparaître une certaine perplexité : « Le Président a fait une faute avec sa lettre qui a gâté sa situation auprès de la diplomatie européenne, des gens du Gouvernement et du parti catholique, et surtout fourni un gros argument aux carlistes. On n'imagine pas toutes les conséquences de cet acte. »
Il n'y a guère que Victor Hugo pour approuver la missive présidentielle à la tribune de l'Assemblée. Las! ce discours de soutien sera paradoxalement à l'origine de la rupture entre les deux hommes, rupture qui, si elle n'a guère de conséquences politiques immédiates, pèsera lourd dans l'image de Louis Napoléon. Celui-ci juge, en effet, non sans raison, qu'il s'est désormais suffisamment engagé dans l'affaire. Et, au grand désappointement de Hugo, laisse passer sans réagir les explications — fort restrictives — d'Odilon Barrot, qui va jusqu'à mettre en cause les « abominables excès » de l'entourage présidentiel.
***
Tout cela, cependant, a permis à Louis Napoléon de s'affirmer et de gagner en autorité. Cette autorité, il lui faut encore la conforter.
A l'occasion de l'affaire de Rome, Ledru-Rollin avait lancé, en juin, un véritable appel à l'insurrection. Les manifestations organisées alors n'avaient connu qu'un succès limité, suffisant cependant pour aviver les craintes des bien-pensants. Louis Napoléon qui, du reste, n'a guère d'autre choix laisse se développer la répression. Il va plus loin et se décide à donner de la voix, tapant même du poing sur la table : « Il est temps, dit-il, que les bons se rassurent et que les méchants tremblent. »
Le voilà parti dans une série de déplacements en province, à Chartres, Amiens, Nantes, Angers, Saumur, Tours, pour y développer des variations sur ce thème. Mais, et c'est une surprise pour beaucoup, il ne s'en tient pas là. S'il s'en prend aux agitateurs, il n'épargne pas toujours la droite qui, du point de vue de l'intérêt national, partagerait selon lui la responsabilité des troubles.
Voyages soigneusement préparés, dont le retentissement est considérable. Quelquefois, des groupes hostiles se forment, des sifflets fusent. Mais le président, courageusement, fait front. Et son discours passe...
Marx prétend que, dans ces voyages dont le Moniteur fait le plus grand cas, l'escorte de Louis Napoléon admet en son sein les membres d'une société dite « du 10 Décembre », un faux organisme de bienfaisance, composé d'agents bonapartistes qui servent à la fois de nervis et de brigade des acclamations.
« On avait organisé la canaille, soutient-il, en sections secrètes [...]. A côté de "roués" ruinés, aux moyens de subsistance douteux et d'origine également douteuse, à côté des déchets de la bourgeoisie, d'aventuriers et de corrompus, des soldats et des forçats libérés, galériens en rupture de ban, voyous, charlatans, lazzaroni, voleurs à la tire, escamoteurs, joueurs, maquereaux, tenanciers de bordels, portefaix, hommes de lettres, tourneurs d'orgues, chiffonniers, gagne-petit, rétameurs, mendiants, bref, toute cette masse indéterminée, décomposée, flottante, que les Français appellent la "bohème".
« [...] Dans la société du 10 Décembre, il rassemble dix mille gueux qui doivent représenter le lion populaire.
« [...] C'était l'armée spéciale à son parti.
« Dans ses voyages, les sections emballées dans les wagons devaient lui improviser un public, exciter l'enthousiasme, hurler "Vive l'Empereur", insulter et rosser les républicains et cela naturellement sous la protection de la police.
« [...] Quand il prononçait publiquement devant les citoyens ses discours officiels sur l'ordre, la religion, la famille, la propriété, il avait derrière lui la Société secrète des Cartouches et des Mandrins, la Société du désordre, de la prostitution et du vol. »
Quoi qu'il en soit, les propos de Louis Napoléon portent, relayés qu'ils sont par des journaux qu'on suscite ou qu'on encourage, et par des groupes de pression dont on contrôle la manoeuvre... L'armée est tout particulièrement honorée et choyée: Louis Napoléon ne se contente pas de s'affubler d'un uniforme de général et de multiplier les rencontres avec les régiments. Il veille à ce qu'on augmente les soldes et à ce que les avancements n'oublient pas ses fidèles !
De plus en plus
Weitere Kostenlose Bücher