Louis Napoléon le Grand
suffisait pas, il précise à Saint-Quentin : « Mes amis les plus sincères, les plus dévoués, ne sont pas dans les palais, ils sont sous le chaume;ils ne sont pas sous les lambris dorés, ils sont dans les ateliers et les campagnes. »
Cela revient à dire que, s'il doit se forcer, sans illusion, à pratiquer avec l'Assemblée le jeu du « je t'aime, moi non plus », son coeur en réalité est ailleurs. En septembre, il se rend en Normandie. A Caen, il ne cache plus guère sa pensée: « Si des jours orageux devaient reparaître et que le peuple veuille imposer un nouveau fardeau au Chef du Gouvernement, ce Chef, à son tour, serait bien coupable de déserter cette haute mission. »
Propos qu'il va confirmer et amplifier à Cherbourg: « Plus je parcours la France et plus je m'aperçois qu'on attend beaucoup du Gouvernement. Rien de plus naturel que la manifestation de ces voeux. Elle ne frappe pas, croyez-le bien, une oreille inattentive, mais à mon tour je dois vous dire : "Ces résultats tant désirés ne s'obtiendront que si vous me donnez le moyen de les accomplir, et ce moyen est tout entier dans votre concours à fortifier le pouvoir et à écarter le danger de l'avenir". »
Bien entendu, c'est sans enthousiasme que la majorité de l'Assemblée prend connaissance de ces manifestations d'une autorité qui s'affirme et se conforte sans cesse, avec l'appui évident de l'opinion publique.
Mais elle n'a encore rien vu. Au début de 1851, Louis Napoléon va pouvoir tester cette nouvelle autorité qu'il s'est forgée, montrer les dents et commencer à faire place nette. C'est la triple signification de la destitution de Changarnier, et elle va faire grand bruit...
Le général Changarnier est en effet un véritable monument. Député, il commande de surcroît et, à la fois, la division de Paris et la Garde nationale. C'est une puissance. En fait, ce n'est qu'une vieille ganache, un jouet entre les mains des royalistes après une assez longue idylle avec Louis Napoléon. Ne doutant de rien, il se verrait bien candidat à la présidence de la République. En tout cas, il parle beaucoup, tient des propos imprudents et s'en prend volontiers au président. A tort plus qu'à raison, il passe pour un recours, voire pour l'espoir de la majorité.
Le 2 janvier 1851, après un incident mineur, sûr de son impunité, Changarnier s'emporte et affirme à la tribune que le président de l'Assemblée a le droit de requérir la troupe. Ce qui signifie, pour qui sait bien entendre, que lui, Changarnier, pourrait bien, si besoin était, déférer à toutes instructions utiles etarrêter le chef de l'État. C'est plus que ne peut supporter Louis Napoléon. Le 3 janvier, il annonce qu'il va destituer Changarnier, expliquant que c'est à lui de « raffermir l'esprit de l'armée de laquelle je dispose seul d'après les termes de la Constitution ».
Plusieurs ministres, affolés par l'ampleur de la crise et ses conséquences possibles, choisissent de démissionner. Mais Louis Napoléon ne change rien à sa résolution. Le 9, tout est accompli. Comme l'écrira Émile Ollivier : « La destitution n'avait pas été, de la part du Président, le prélude du coup d'État prédit contre l'Assemblée mais la parade préventive d'un coup d'État de l'Assemblée en préparation contre lui. »
Malgré les avertissements de Thiers, qui déclare : si vous ne réagissez pas, « l'Empire est fait », l'Assemblée se contente d'une protestation platonique. Le président est un rempart contre le désordre: par qui le remplacer? Quant aux républicains, ils ne souhaitent pas choisir entre la peste et le choléra. Un vote de défiance intervient bien le 18 janvier contre le ministère. Mais Louis Napoléon peut accepter sa démission d'un coeur léger: lui-même n'en est ni affecté ni affaibli. Il met en place un ministère de transition, sans parlementaires. Et, après l'échec de plusieurs autres formules, l'Assemblée doit accepter qu'on en revienne, en avril... au ministère du 18 janvier, à une exception notable près : la rentrée de Foucher, qui a plutôt le sens d'un durcissement que d'un rapprochement. Rouher, Fould, Baroche sont de la combinaison : le personnel du second Empire se met en place.
Dès lors, au printemps de 1851, Louis Napoléon se trouve en position favorable. L'heure peut paraître venue pour lui de jeter toutes ses forces dans la bataille de la révision, en prenant appui sur l'opinion.
Le 1 er juin, il pose le
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