Louis Napoléon le Grand
la légalité. Tout au long de ces années difficiles, ambiguës et dangereuses à l'Élysée, il s'efforcera de trouver une issue convenable. Ses tentatives constituent le seul élément de cohérence d'une période fort complexe, où chacun croit avoir intérêt à laisser pourrir toujours davantage une situation lourde de menaces. Pour sa part, Louis Napoléon va accepter tous les désagréments dont il ne peut s'exonérer et engranger tous les avantages que sa mansuétude aura pu lui assurer. Il va saper le parti de l'Ordre, ne s'opposant à lui que lorsqu'il est certain de n'en subir aucun dommage. Insensiblement, subrepticement, il va préparer le terrain de façon que l'Assemblée sera, soit contrainte de venir à résipiscence, soit suffisamment affaiblie pour qu'il puisse l'écarter de son chemin.
Pour l'heure, le chemin de Louis Napoléon, ses partenaires, ses adversaires et ses ennemis l'ont tracé une fois pour toutes, et sans aucun égard pour lui.
La fonction que lui a confiée le peuple ne dure pas plus... de trois ans et demi, courte période au cours de laquelle on entend faire une lecture aussi restrictive que possible de ses pouvoirs constitutionnels. Puis, interdit de candidature, il sera éliminé. Le mandat du président et celui de l'Assemblée expirant ensemble en mai 1852, on procédera à des élections conjointes, après un court intérim confié au vice-président Boulay de la Meurthe. Louis Napoléon pourra donc encore, s'il le souhaite, se faire élire député et enrichir de sa contribution le débat parlementaire, mais l'hypothèque qu'il représente sera, en tout état de cause et enfin, levée.
Louis Napoléon n'entend évidemment pas les choses de la même manière. Pour lui, le salut du pays et son destin personnel sont indissociablement liés. Il a choisi de longue date la voie du milieu, c'est-à-dire celle de la synthèse entre une gauche et une droite qu'il renvoie dos à dos en raison de leurs excès respectifs.
Ce qu'il va donc rechercher, c'est la possibilité, après moins de quatre ans de présidence, de se présenter à nouveau devant le suffrage universel. Cette attitude ne paraît ni anormale, ni excessive ; d'autant que, plus les échéances se rapprochent, plus il est évident qu'elle correspond à l'attente de la grande majorité du pays. En l'exprimant, d'ailleurs, il se montre fidèle au principe qui inspire toute sa vie : la souveraineté du peuple.
Marx, tout en lui prêtant les pires arrière-pensées, traduit à sa manière la résolution, voire l'idée fixe, du prince-président :« Tandis que l'Assemblée reste constamment sur les planches exposée au grand jour à la critique, il mène une vie cachée dans les Champs-Élysées, ayant devant les yeux et dans son coeur l'article 45 de la Constitution qui lui crie tous les jours : "Frère, il faut mourir! Ton pouvoir cesse le second dimanche du joli mois de mai, dans la quatrième année de ton élévation ! Alors ton règne prend fin. Si tu as des dettes, vois à temps au moyen de les payer avec les 600 000 francs que t'alloue la Constitution...". »
Dès lors, l'objectif de Louis Napoléon est clair: créer jour après jour les conditions de la nécessaire révision. Et pour cela, progressivement, prudemment, mais sans la moindre défaillance, affermir le pouvoir qui lui a été conféré par le suffrage universel. Ainsi aura-t-il les moyens politiques d'imposer légalement la seule voie qui lui paraît possible.
Pour arriver à ses fins, il va parfois tergiverser ou louvoyer, mais sans jamais perdre de vue l'objectif ultime — ce qui peut l'amener à adopter des conduites d'apparence contradictoire.
Parce que ses espérances s'opposent à celles des partisans d'une restauration monarchique ou d'une république sans suffrage universel, il se trouve le plus souvent en butte à l'hostilité du parti de l'Ordre, même si celui-ci cherche parfois à l'utiliser. On ne le voit pas pour autant susciter des adhésions chez les responsables du parti républicain. Pourtant, des ralliements se produisent un peu partout, dans toutes les classes de la société, encore que, du côté des élites, c'est seulement à droite qu'il trouvera des appuis.
Condamné à faire avec ce qu'il a, il va s'efforcer de contourner les écueils, les uns après les autres. Ils ne vont pas manquer.
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L'affaire de Rome résume toutes ces contradictions. Elle est une excellente illustration du jeu subtil que doit pratiquer le
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