Louis Napoléon le Grand
problème à Dijon et met chacun devant ses responsabilités. Les réactions vont être vives, face à ce discours d'une grande netteté:
« La France, dit-il, ne veut ni le retour à l'Ancien Régime, quelle que soit la forme qui le déguise, ni l'essai d'utopies funestes et impraticables. C'est parce que je suis l'adversaire le plus naturel de l'un et de l'autre qu'elle a placé sa confiance en moi...
« Depuis trois ans, on a pu remarquer que j'ai toujours été secondé quand il s'est agi de combattre le désordre par des mesures de compression. Mais lorsque j'ai voulu faire le bien, fonder le crédit foncier, prendre des mesures pour améliorer le sort de la population, je n'ai rencontré que l'inertie. »
Et plus précisément encore:
« D'un bout de la France à l'autre, des pétitions se signent pour demander la révision de la Constitution. J'attends avec confiance les manifestations du pays et les décisions de l'Assemblée qui ne seront inspirées que par la seule pensée du bien public. Si la France reconnaît qu'on n'a pas le droit de disposer d'elle sans elle, la France n'a qu'à le dire: mon courage et mon énergie ne manqueront pas [...]. Quels que soient les devoirs que le pays m'impose, il me trouvera décidé à suivre sa volonté et croyez-le bien, Messieurs, la France ne périra pas dans mes mains. »
Le problème de la révision était, on en conviendra, on ne peut plus clairement posé.
Une majorité simple dans une Assemblée précédente avait interdit à la majorité de l'Assemblée suivante de défaire ce qu'elle avait fait... Au nom de quelle légitimité supérieure, de quelle transcendance singulière? Nul ne le savait. Le peuple souverain se serait-il exprimé directement et solennellement? En aucune manière. En fait, les constituants, même si leurs arrière-pensées n'étaient pas les mêmes, s'étaient accordés pour figer la situation. Chaque faction y avait contribué, espérant bien tirer bénéfice d'un dispositif conçu non pour avantager l'un ou l'autre groupe mais pour n'en défavoriser aucun.
A présent, chacun sent bien que le blocage des issues peut déboucher sur un drame. Les constituants ont pris la France au piège. En voulant gagner du temps pour leurs causes respectives, ils ont tranformé le pays en poudrière.
Ce n'est un secret pour personne que la droite conservatrice, toutes tendances confondues, ne peut accepter la perspective de la défaite électorale que laissent présager les résultats des élections partielles. Il est non moins évident que la gauche n'admettra pas qu'on la prive d'une victoire à laquelle elle croit de plus en plus. Bien des indices donnent à penser qu'elle est prête à l'affrontement. Ici et là, se forment des sociétés secrètes. Le moindre village a son meneur, souvent entré dans une semi-clandestinité, qui prépare « la revanche ». Habilement les montagnards essaient de gagner à leur cause une paysannerie plongée dans un profond marasme.
Parallèlement, de nombreuses pétitions, qui affluent de tous les côtés, sont venues appuyer les voeux déjà émis par les conseils généraux. Le sentiment dominant du pays est clair, et sans aucune équivoque: il faut réviser, donc permettre la réélection.
Le débat s'engage bientôt à l'Assemblée. Le 8 juillet 1851, Tocqueville, rapporteur de la commission de Révision — commission dont la création résulte d'une proposition signée par de Broglie au nom de deux cent trente-trois représentants — dépose ses conclusions: elles sont favorables. L'auteur de la Démocratie en Amérique n'en dissimule pas les véritables motifs : il faut à tout prix éviter une réélection illégale en 1852. C'est reconnaître — et voilà un avis autorisé — que dans l'hypothèse d'une candidature de Louis Napoléon, la réélection du prince ne serait qu'une formalité.
Berryer, tout légitimiste qu'il est, ne fait que renchérir: « Seule, la révision pourrait, avoue-t-il, empêcher Louis Napoléon de se maintenir au pouvoir de manière inconstitutionnelle. »
Et pourtant, si incontournables que soient les données du problème, la révision va échouer. Elle n'obtient à l'Assemblée que 446 voix contre 278. La majorité constitutionnelle étant de 543 voix, le projet est donc repoussé.
Les limites de l'absurde sont ainsi franchies, sous le regard des citoyens ; comment faire admettre à ceux-ci qu'il faut, pour réviser la Constitution, une majorité plus forte que
Weitere Kostenlose Bücher