Louis Napoléon le Grand
ou, à défaut, l'annonce qui prépare le dénouement. Ainsi, s'il passe à l'acte, c'est qu'il aura définitivement constaté qu'il n'est pas d'autre façon « d'épargner à [la] Patrie et à l'Europe, peut-être, des années de trouble et de malheur... »
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Cette occasion, la dernière, est donnée par la rentrée parlementaire et le traditionnel message du président sur l'état de la France. Il la saisit, le 4 novembre 1851.
Dans un texte qui est un véritable chef-d'oeuvre politique, et qu'il faut lire ou relire avant de porter sur la suite quelque jugement que ce soit, il propose un ultime moyen d'éviter le coup d'État et en rejette par avance, s'il devait s'accomplir, la responsabilité sur l'Assemblée. En fait, il met à celle-ci le marché en main : ou bien elle rétablit, comme il le suggère, le suffrage universel, ce qui peut ouvrir une nouvelle voie à la révision ; ou bien c'est elle qui sera entrée dans l'illégitimité.
Sa description de la situation du pays est à la fois précise et saisissante. Personne ne peut contester que le tableau qu'il brosse correspond à la triste réalité : « L'état de malaise général tend chaque jour à s'accroître. Partout, le travail se ralentit, la misère augmente, les intérêts s'effrayent et les espérances anti-sociales s'exaltent à mesure que les pouvoirs publics affaiblis approchent de leur terme... »
En deux phrases, tout est dit!
Il n'existe qu'un moyen d'en sortir, affirme-t-il: rétablir le suffrage universel, c'est-à-dire « le seul principe qu'au milieu duchaos général la providence ait maintenu debout pour nous rallier ».
Il annonce donc un projet de loi pour abroger la loi du 31 mai. Habilement, Louis Napoléon prend l'Assemblée à son propre jeu :
« J'appelle votre attention particulière sur une [...] raison, décisive peut-être. Le rétablissement du suffrage universel sur sa base principale donne une chance de plus d'obtenir la révision de la Constitution. Vous n'avez pas oublié pourquoi, dans la session dernière, les adversaires de cette révision se refusaient à la voter. Ils s'appuyaient sur cet argument qu'ils savaient rendre spécieux: la Constitution, disaient-ils, oeuvre d'une Assemblée issue du suffrage universel, ne peut pas être modifiée par une Assemblée issue du suffrage restreint. Que ce soit là un motif réel ou un prétexte, il est bon de l'écarter et de pouvoir dire à ceux qui veulent lier le pays à une Constitution immuable : voilà le suffrage universel rétabli; la majorité de l'Assemblée soutenue par deux millions de pétitionnaires, par le plus grand nombre des conseils d'arrondissement, par la presque unanimité des conseils généraux, demande la révision du pacte fondamental: avez-vous moins confiance que nous dans l'expression de la volonté populaire?
« La question se résume donc ainsi pour tous ceux qui souhaitent le dénouement pacifique des difficultés du jour. »
C'est de belle facture. Ce n'est pas forcément le chef-d'oeuvre d'hypocrisie que certains ont voulu y voir, sous le prétexte qu'à cette date presque tous les participants au coup d'État sont en place. Pourquoi, plus simplement, ne pas admettre que Louis Napoléon a voulu faire face à toute éventualité? Des preuves existent qu'il a attendu, en vain, un geste de l'Assemblée, et qu'il le souhaitait.
Au demeurant, sa foi dans le suffrage universel ne saurait être suspectée. Non seulement il en a fait la base de toute sa doctrine politique mais il sait, bien sûr, qu'il n'a rien à en craindre et tout à en espérer.
Et pourquoi donc mettre en doute sa sincérité quand il dénonce le contenu de la loi du 31 mai, et ce qu'elle a modifié dans l'élection présidentielle ? Car il est vrai que « demander le tiers [des suffrages] au lieu du cinquième, [c'est] dans une certaine éventualité ôter l'élection au peuple pour la donner à l'Assemblée. C'est donc changer positivement les conditions d'élection du Président de la République ».
On pourra objecter que Louis Napoléon ne s'est pas opposé, à l'époque, à la loi du 31 mai. Chacun sait cependant qu'il hésita, son attitude étant mise au compte de l'espoir qu'il nourrissait de s'attirer les bonnes grâces des parlementaires dans le processus de révision. Espoir d'ailleurs déçu. De toute façon, Louis Napoléon, admet à présent que les intentions du législateur n'étaient peut-être pas mauvaises, mais que leurs effets sont allés bien
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