Louis Napoléon le Grand
au-delà de ce qui était prévu. Et, ajoute-t-il, « en se rappelant les circonstances dans lesquelles elle fut présentée, on avouera que c'était un acte politique bien plus qu'une loi électorale, une véritable mesure de salut public [...]. Mais les mesures de salut public n'ont qu'un temps limité ».
On peut évidemment entretenir un dernier doute sur la réalité de l'intention de Louis Napoléon « de proposer tous les moyens de conciliation et de faire tous [ses] efforts pour amener une solution pacifique, régulière, légale ».
Se serait-il réellement satisfait du simple rétablissement du suffrage universel, ou aurait-il exigé, de surcroît, une révision constitutionnelle que cette Assemblée, il en avait conscience, ne voulait décidément pas voter?
Dans cette question réside toute l'incertitude sur le jugement moral à porter sur Louis Napoléon. Un passage de son discours — reprenant explicitement ses propos de l'année précédente — donne à penser que sa sincérité est entière. Cette citation, ce rappel, il eût pu s'en passer sans affaiblir son argumentation. Et pourtant, il semble y tenir:
« Déjà, dit-il, dans mon dernier message, mes paroles à ce sujet, je m'en souviens avec orgueil, furent favorablement accueillies par l'Assemblée. Je vous disais:
« "L'incertitude de l'avenir fait naître bien des appréhensions en réveillant bien des espérances. Sachons tous faire à la Patrie le sacrifice de ces espérances et ne nous occupons que de ses intérêts. Si dans cette session, vous votez la révision de la Constitution, une constituante viendra refaire nos lois fondamentales et régler le sort du pouvoir exécutif. Si vous ne la votez pas, le peuple en 1852 manifestera solennellement l'expression de sa volonté nouvelle. Mais quelles que puissent être les solutions de l'avenir, entendons-nous afin que ce ne soit jamais la passion, la surprise ou la violence qui décident du sort d'une grande Nation". »
Le message est donc très clair: Louis Napoléon propose àl'Assemblée le moyen d'éviter le coup d'État, mais il lui signifie aussi qu'elle en porterait en tout état de cause la responsabilité.
Pourtant l'Assemblée ne va pas saisir la perche qui lui est ainsi tendue. La proposition de Louis Napoléon est débattue et rejetée. De peu : il s'en fallut de sept voix, le 12 novembre. Les républicains avaient joint leurs voix aux hommes du parti de l'Élysée. En vain. Avec le parti de l'Ordre, au moins dans sa fraction la plus extrême, le divorce est désormais total.
Depuis le 27 octobre, un nouveau gouvernement est en place, d'où émerge la personnalité de Thorigny, ministre de l'Intérieur.
***
L'affaire des questeurs va porter la tension à son paroxysme, les deux clans donnant le sentiment qu'ils mettent leurs forces en place pour l'affrontement final.
Il s'agit pour les questeurs, responsables du fonctionnement de l'institution parlementaire, de permettre à l'Assemblée d'organiser sa propre protection militaire, en dehors de l'exécutif et du commandement.
On peut, certes, interpréter leur proposition comme la recherche d'un moyen de défense autonome de l'Assemblée ; elle peut se présenter aussi comme la préparation d'un mauvais coup contre le président lui-même. Le scénario probable en est connu de tous: mise en accusation du président, intervention de l'armée suivie d'une arrestation. Chacun retient son souffle : si la proposition passe, tout devient possible. L'enjeu n'est donc pas seulement symbolique: il est bel et bien concret.
Un décret de la Constituante, en date du 11 mai 1848, avait donné au président de l'Assemblée le droit de requérir directement la troupe, sans avoir à en référer au ministre de la Guerre ou à la hiérarchie militaire. Ce texte, qui avait été très contesté par Cavaignac, était tombé en désuétude. En le transformant en loi, les auteurs de la proposition entendaient lui rendre vie.
La discussion fut très vive.
Ce sont les républicains qui arbitrèrent le différend, en renvoyant dos à dos les protagonistes. Jules Favre résuma bien leur position, expliquant pourquoi les voix républicaines manqueraient aux tenants du parti de l'Ordre: « De deux choses l'une, ou vous croyez que le pouvoir exécutif conspire : accusez-le ! ou vous feignez de croire qu'il conspire et c'est que vous conspirez vous-mêmescontre la République et voilà pourquoi je ne vote pas avec vous. »
Pour sa part, Michel
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