Louis Napoléon le Grand
fort brève carrière militaire, il a choisi sa voie : lesaffaires et la politique, sans que la frontière à tracer entre ces deux domaines lui paraisse infranchissable... Ajoutons-y les femmes, son troisième centre d'intérêt, étant entendu que la liste de ses appétences ne s'arrête pas là. Certes non, et ce qui le caractérise sans doute le mieux c'est précisément l'éclectisme de ses dilections. Innombrables sont les terrains où il se reconnaît la capacité d'intervenir, et où il intervient le cas échéant avec bonheur. Il est l'homme de tous les talents, qu'il déploie comme par jeu, car il a de l'humour, au vrai sens du terme, et aime à se regarder faire. Rien ne lui plaît davantage que mesurer son aptitude à relever les défis. Il est vrai qu'il a une revanche à prendre, une revanche sur les hasards de sa naissance; ce qui le gêne d'ailleurs, c'est moins d'être un bâtard que de ne pouvoir se réclamer de son illustre ascendance.
Alors, sa façon à lui d'exprimer son mépris pour d'autres qui ne le valent pas est d'adopter une attitude provocatrice le conduisant aux bornes du scandale, sans jamais les dépasser vraiment. Il n'y a pas que la Bourse qui soit pour lui une maison de jeu, c'est la vie tout entière qu'il assimile à un casino.
Il a incontestablement les qualités d'un homme d'État, comme en témoigne sa réussite dans tous les postes qui lui seront confiés: ministre, ambassadeur, président du Corps législatif. Il est de surcroît sensible à la nécessité des évolutions.
Et pourtant, cet homme qui marquera si profondément l'histoire du régime ne se départira jamais de son comportement de joueur. Le coup d'État, pour lui, ce sera plus qu'un investissement, un véritable banco : il met tout sur la table, flairant le bon coup, et sans trop songer aux moyens de régler les problèmes de la France. Après le succès, il ne cachera pas les vraies raisons de sa joie. A sa maîtresse, Fanny Le Hon, il confiera:
« Vous avez misé sur le bon cheval.
« Nous allons connaître vous et moi une prospérité dont vous ne soupçonnez pas l'ampleur... »
Dès 1848, Morny avait choisi de lier son sort à celui de son frère. En 1849, il le revoit, et progressivement s'impose. Partisan dès l'origine d'une solution de force, il sera, bien sûr, au rendez-vous.
A côté de cette tête pensante, il faut un sabre. Il est tout trouvé : c'est le général de Saint-Arnaud. Ce militaire, qui a tout d'un reître, n'a rien à perdre dans l'aventure, et tout à gagner. Filsd'un préfet de l'Empire, il a connu une jeunesse orageuse, et sa réputation laisse un peu à désirer. Sa fortune, dans tous les sens du terme, il ne peut plus espérer la fonder sur ses seuls mérites, et se trouve prêt pour la besogne, quelle qu'elle soit. Louis Napoléon installe donc au ministère de la Guerre, en octobre, ce général de l'armée d'Algérie, dont la promotion a été préparée par une expédition en Grande Kabylie, décidée pour les besoins de la cause et soigneusement montée en épingle.
S'il est brutal et d'esprit aventureux, s'il adore l'argent, si, lui aussi, n'est guère étouffé par les scrupules politiques — il a hésité entre le duc d'Aumale et Louis Napoléon —, Saint-Arnaud porte beau, a le don du commandement, et convient parfaitement à ce qu'on attend de lui. Le général Magnan, qui commande les forces armées de Paris, sera pour lui un adjoint efficace.
Il est intéressant de noter que, grâce au coup d'État, Saint-Arnaud pourra finir sa vie en s'achetant une conduite. Elevé au maréchalat et nommé, quelques années plus tard, commandant en chef de l'armée française en Crimée, il s'illustra sur le terrain au point d'unir à jamais son nom à la bataille de l'Alma. Victime du choléra et d'une maladie de coeur, il mourut sur le bateau qui le ramenait d'urgence à Constantinople.
Sa disparition réunit le pays dans un hommage unanime dont Louis Veuillot sut se faire l'interprète : « Comme la France aime l'héroïsme, les impérialistes ne sont pas seuls à célébrer la mémoire du Maréchal de Saint-Arnaud. Légitimistes, Orléanistes, Républicains, oublient le Ministre de la Guerre du coup d'État pour ne se souvenir que du Général en Chef de l'Armée d'Orient, du vainqueur de l'Alma, dont le linceul est un drapeau triomphant. »
Le troisième homme est Maupas, placé à la préfecture de police depuis octobre. Ollivier le décrit comme un homme « d'une
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