Louis Napoléon le Grand
intelligence bornée, mais d'un cynisme sans scrupule ». Le trait est un peu rude : ce haut fonctionnaire, jeune encore, ne manque pas de finesse, même s'il s'est surtout signalé dans de précédentes fonctions par un zèle parfois débordant. A Toulouse, il s'était vivement heurté avec le procureur général qui trouvait son savoir-faire quelque peu expéditif.
C'est ainsi qu'à Paris, où on l'avait rappelé pour le sermonner, il avait été remarqué et présenté à Louis Napoléon...
***
Paradoxalement, alors qu'il était attendu de tous, le coup d'État causa une immense surprise. On ne l'attendait pas le jour où il fut accompli. Le secret, il est vrai, avait été bien gardé.
La myopie des observateurs de l'époque a pourtant de quoi surprendre.
On a bien l'impression que, dans sa dernière grande intervention publique avant le 2 décembre, Louis Napoléon avait mis toutes les cartes sur la table. Le 25 novembre, le président est au Cirque pour remettre personnellement les médailles de l'Exposition universelle de Londres. Son propos est on ne peut plus net:
« En présence de succès aussi inattendus, je suis autorisé à répéter encore combien la République française serait grande s'il lui était permis de poursuivre ses intérêts réels et de réformer ses institutions, au lieu de se laisser troubler, d'une part, par les démagogues, d'un autre côté, par les hallucinations monarchiques. [Applaudissements vifs, impétueux, répétés dans toutes les parties de l'amphithéâtre, nous rapporte la chronique.] Les hallucinations monarchiques empêchent tout progrès et toute industrie sérieuse. La lutte remplace le progrès. On voit des hommes, autrefois les soutiens les plus zélés de l'autorité et des prérogatives royales, devenir les partisans d'une convention uniquement dans le but d'affaiblir l'autorité née du suffrage universel. [Applaudissements vifs et répétés.] Nous voyons des hommes qui ont le plus souffert de la Révolution et s'en sont le plus plaints, en provoquer une nouvelle, uniquement pour enchaîner la volonté nationale... Je vous promets le calme à l'avenir[ bravo , bravo, tonnerre de bravos ]. »
Ce message, si révélateur, n'est pas interprété comme il devrait l'être. Il suffit que, le 30 novembre, le président donne un bal à l'Élysée, et que, dans la soirée du 1 er décembre, Morny, ne changeant rien à ses habitudes, se montre à la représentation de la Fille de Barbe-Bleue, pour que tout le monde aille dormir tranquille. Le moment est pourtant venu... On connaît le déroulement des événements, si souvent racontés avec un grand luxe de détails.
Peut-être y a-t-il lieu d'insister cependant sur les trois affiches qui furent alors apposées, parce qu'elles sont l'illustration de la cohérence et de la continuité de la démarche de Louis Napoléon.
Passons sur la première, qui est un appel à l'armée : il faut bien parer au plus pressé...
La deuxième résume tout le paradoxe du coup d'État. Elle estde portée pratique ; on y annonce que l'Assemblée nationale est dissoute, la loi électorale de 1850 abrogée, le suffrage universel rétabli et le peuple appelé à s'exprimer. Ainsi, le coup d'État — faut-il le souligner — est-il en quelque sorte double, car le rétablissement du suffrage universel est un acte au moins aussi illégal que la dissolution de l'Assemblée.
Le troisième texte — une proclamation aux Français — commente les choses de façon plus élaborée:
« Aujourd'hui que le pacte fondamental n'est plus respecté de ceux-là mêmes qui l'invoquent sans cesse et que les hommes qui ont déjà perdu deux monarchies veulent me lier les mains afin de renverser la République, mon devoir est de déjouer leurs perfides projets, de maintenir la République et de sauver le pays en invoquant le jugement solennel du seul souverain que je reconnaisse, en France, le peuple. Je fais donc appel à la Nation tout entière [...]. Si vous avez encore confiance en moi, donnez-moi les moyens d'accomplir la grande mission que je tiens de vous.
« Cette mission consiste à fermer l'ère des révolutions en satisfaisant les besoins légitimes du peuple et en le protégeant contre les passions subversives. Elle consiste surtout à créer des institutions qui survivent aux hommes et qui soient enfin des fondations sur lesquelles on puisse asseoir quelque chose de durable. »
Tout aurait pu, dès lors, se passer aimablement et sans
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