Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
culpa », implorent la pitié, la grâce.
Des soldats logent chez l’habitant, défenestrent ceux qui s’opposent à eux, volent, souillent, brisent, violent, frappent et tuent.
Les rebelles qui criaient dans les villes et les campagnes bretonnes « Torr e benn », « Casse-lui la tête », se soumettent. Et ce sont les crânes de ces « torreben » qu’on fracasse.
« Ils sont maintenant souples comme un gant car on en a pendu et roué une quantité », lit Louis dans un des rapports. Et le duc de Chaulnes ajoute :
« Je ne puis vous exprimer, Sire, quels ravages font les troupes. Cette province est traitée comme un pays ennemi. Les arbres commencent à se pencher sur les grands chemins, du côté de Quimperlé, du poids qu’on leur donne. »
Et les oiseaux picorent les yeux des pendus.
Mais les sujets auront appris à obéir, et ne rédigeront plus des « codes paysans » supprimant les impôts, ordonnant de pourchasser la « gabelle et ses enfants », et de tirer sur elle comme sur un chien enragé !
C’est au roi, et à ses ministres, de décider ce qui est nécessaire au royaume.
Et puisque les paysans demandent grâce, que des centaines ont été roués, et qu’une grande « penderie » a eu lieu en toute la Bretagne, le temps de la clémence est venu.
Louis décide d’amnistier les rebelles, à l’exception des meneurs.
Mais que partout l’impôt soit levé, et qu’on punisse avec la rigueur de la roue, de la potence et de la chiourme ceux qui tentent de s’y dérober.
L’impôt est dû au roi et qui s’y oppose commet le crime de lèse-majesté.
49.
Il est assis dans la chapelle du château de Saint-Germain.
Il écoute le prédicateur. Ce prêtre est-il vraiment l’interprète de la volonté de Dieu ?
Sait-il, cet homme d’Église, qu’il paraît donner raison aux « bonnets rouges » de Bretagne, lorsqu’il dit :
« Riches, portez le fardeau du pauvre, soulagez sa nécessité, aidez-le à soutenir les afflictions sous le poids desquelles il gémit » ?
Ce prélat, ce Bossuet, ignore-t-il que des curés marchaient aux côtés des paysans révoltés ? Que des évêchés et des couvents ont été envahis ! Et que peut-être ce sont des curés et quelques notaires qui ont rédigé ces « codes paysans », qui condamnaient, comme Bossuet le fait, cette « étrange inégalité ».
Louis, immobile, les yeux levés vers le prédicateur, s’interroge.
Bossuet lance :
— Pourquoi cet homme si fortuné vivra-t-il dans une telle abondance et pourra-t-il contenter jusqu’aux désirs les plus inutiles d’une curiosité étudiée pendant que ce misérable, homme toutefois aussi bien que lui, ne pourra soutenir sa pauvre famille, ni soulager la faim qui le presse ?
Ne sont-ce pas là paroles empoisonnées, ferments de rébellion ?
Mais ce sont pourtant mots d’Église, pensées des hommes de Dieu, que confirment les lettres déchiffrées dans le cabinet noir et qui disent :
« Il y a dix ou douze mille hommes de guerre en Bretagne, qui vivent comme s’ils étaient encore au-delà du Rhin. Nous sommes tous ruinés. »
Et c’est la marquise de Sévigné qui l’écrit !
Louis sent le doute le gagner.
Il a l’impression d’être harcelé, assiégé par ces prêtres, ces confesseurs, ces prédicateurs, ces directeurs de conscience, ces dévots.
L’un, le père Mascaron, au lieu de remercier Dieu pour les victoires de Turenne en Alsace et sur le Rhin, ou de louer le Seigneur d’avoir protégé et conduit les armées du roi à la victoire, en Flandre, à Dinan, à Huy et à Limbourg, s’est écrié :
« Un héros n’est qu’un voleur qui fait à la tête d’une armée ce que les larrons font tout seuls. »
Il semble à Louis que de tels propos annoncent, attirent le malheur.
Voici le premier.
Un boulet fauche, à Salzbach, sur la rive droite du Rhin, M. de Turenne.
Punition de Dieu ?
« Nous avons perdu le père de la patrie », dit Louis en entrant dans le salon du château de Versailles, où l’on dresse les tables pour le souper.
Il veut, dit-il, que Turenne soit enseveli, comme l’avait été le connétable du Guesclin, dans la basilique de Saint-Denis, aux côtés des rois que l’un et l’autre ont servi.
Il est au premier rang lors des funérailles majestueuses. Les tambours voilés de crêpe battent et les soldats, le fusil renversé, pleurent. Le cénotaphe est une tour, au centre de laquelle est
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