Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
placé le cercueil de Turenne. Et veillent sur lui les statues qui représentent les qualités et les actions du héros, la piété, la fidélité au roi et la bravoure militaire.
Louis s’incline devant le cercueil de cet homme qui l’a si bien servi et a illuminé sa gloire.
Mais alors, pourquoi ces paroles des prédicateurs, ces condamnations des actes du roi, qu’on loue par ailleurs ?
Il a parfois envie de s’écrier comme Suréna, ce général romain auquel Corneille prête sa voix : « Mon vrai crime est ma gloire ! »
Il lui semble qu’on cherche à le contraindre, à le réduire, à le faire renoncer à ses désirs, à ses plaisirs, à sa gloire.
Il voit s’avancer, furie aux bras levés, à la voix aiguë, Athénaïs de Montespan qui s’indigne, raconte que le curé de Versailles, le père Lécuyer, a refusé après la confession de lui donner l’absolution, lançant :
« Est-ce cette Mme de Montespan qui scandalise toute la France ? »
L’homme d’église a ajouté, avant de quitter le confessionnal :
— Allez, madame, cessez donc vos scandales et vous viendrez vous jeter aux pieds des ministres de Jésus-Christ !
Cela est-il possible ? Cela est-il conforme aux règles de l’Église ?
Refuser l’absolution, même à une pécheresse, est-ce admissible ?
Louis tente de calmer, de rassurer Athénaïs. Mais il se sent lui-même inquiet, ébranlé.
Il interroge Bossuet.
Le prélat, il le sait, est du parti dévot, un ami de Mme de Maintenon. Mais c’est un homme de foi vibrante, et il dit ce qu’il croit être la loi de Dieu.
Et voici qu’il prononce un sermon sur l’adultère, condamnant ce commerce impie des chairs.
Louis s’efforce de paraître impassible, mais chaque mot prononcé par Bossuet l’inquiète, le blesse.
— Je ne vous demande pas, Sire, ajoute Bossuet, que vous éteigniez en un instant une flamme si violente, ce serait vous demander l’impossible, mais, Sire, essayez petit à petit de la faire diminuer, prenez garde à ne pas l’entretenir.
Faudrait-il qu’un jour il renonce à Athénaïs ? Il en tremble d’émotion. Il apprend qu’Athénaïs, après des cris et des larmes, des affrontements avec Bossuet, a quitté Versailles et s’est réfugiée dans son château de Clagny.
Il découvre dans les lettres saisies par les hommes de Louvois qu’avec avidité les courtisans spectateurs de ces scènes les décrivent, les commentent :
« Le roi et Mme de Montespan s’aimant plus que la vie se sont quittés purement par principe de religion. On dit que la marquise retournera à la Cour sans être logée au château, et sans voir jamais le roi que chez la reine. »
Mais Louis veut la voir.
Il se rend au château de Clagny. Il entre dans ce cabinet vitré, sous l’œil des courtisans les plus pieux qui doivent surveiller la rencontre, veiller à ce que les mains, les corps ne se frôlent pas.
Louis est ému aux larmes, tendu.
Il doit partir pour prendre la tête des troupes en Flandre, et il souffre de ne pouvoir, comme il l’avait toujours fait, demander aux dames de l’accompagner.
Il a consulté Bossuet.
Il comprend que celui-ci veut écarter définitivement Athénaïs.
— Songez, Sire, dit Bossuet, que vous ne pouvez être véritablement converti si vous ne travaillez pas à ôter de votre cœur non seulement le péché mais la cause qui y porte.
Louis ne répond pas. Il ne veut pas se séparer d’Athénaïs.
Mais si Dieu punissait le royaume pour les écarts du roi ? insiste Bossuet.
— La haute profession que Votre Majesté a faite de vouloir changer sa vie, reprend Bossuet, a rempli ses peuples d’espoir et de consolation. Elle les persuade que Votre Majesté se donnant à Dieu se rendra plus que jamais attentive à l’étroite obligation qu’il vous impose de veiller à leur misère, et c’est de là qu’ils espèrent le soulagement dont ils ont besoin extrême.
Pour terrasser l’ennemi hollandais, pour assurer la prospérité des sujets du royaume, faut-il qu’il se prive d’Athénaïs de Montespan ?
Depuis qu’il est séparé d’elle, elle lui manque davantage.
La guerre elle-même, le siège des villes hollandaises, les chevauchées périlleuses sous leurs murailles ne le distraient pas de ces questions.
Il veut qu’un courrier, chaque jour, lui apporte des nouvelles de Versailles, et surtout du château de Clagny.
Il apprend que la reine et toutes les dames de la Cour se sont rendues au
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