Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
d’agir.
Dieu a mis sur leur front et sur leur visage une marque de divinité. Ils sont les dieux de chair et de sang, de terre et de poussière, ils meurent comme des hommes, mais leur autorité ne meurt pas.
Voilà ce qu’il ne doit jamais oublier.
Louis convoque Colbert, donne ses ordres.
Qu’on fasse venir par mer de Dantzig et d’autres pays étrangers le plus de blé qu'il est possible. Qu’on consacre à ces achats mon épargne, et qu’on en distribue la plus grande partie au petit peuple des meilleures villes comme Rouen, Paris, Tours et autres. À la campagne où les distributions de blé ne peuvent se faire promptement, qu’on donne de l’argent.
Il prend la plume. Il veut écrire de sa main aux intendants, aux gouverneurs, aux présidents des parlements des provinces.
Colbert attend les missives, les prend en s’inclinant.
— Je veux, dit Louis, agir comme un véritable père de famille qui fait la provision de sa maison et partage avec équité les aliments à ses enfants et à ses domestiques.
Maintenant il veut rester seul, afin d’étudier les dépêches que Colbert, et d’autres ministres et secrétaires d’État lui ont remises.
Le travail n’épouvante que les âmes faibles. Et dès lors qu’un dessein est avantageux et juste, ne pas l’exécuter est une faiblesse. Il a voulu obtenir réparation de l’injure faite par l’ambassadeur d’Espagne à Londres à l’ambassadeur de France.
C’est fait. Au Louvre, le comte Fuentes s’est incliné, a présenté des excuses devant les ambassadeurs de toute l’Europe.
Louis ressent à se remémorer la scène une satisfaction intense.
« Je ne sais pas si depuis le commencement de la monarchie, pense-t-il, il s’est jamais rien passé de plus glorieux pour elle, car si les rois et les souverains que nos ancêtres ont vus quelquefois à leurs pieds y étaient comme seigneurs de quelques principautés moindres, ici, c’est une espèce d’hommage qui ne laisse plus douter à nos ennemis même que la nôtre ne soit la première de la chrétienté. »
Il lit les dépêches envoyées par le duc de Créqui, ambassadeur de France à Rome.
Il s’indigne. Des Corses de la garde pontificale ont attaqué le siège de l’ambassade, le palais Farnèse, tiré des coups de mousquet sur le carrosse de l’épouse de l’ambassadeur, tué un page français.
Le pape doit s’excuser comme n’importe quel souverain, et s’il s’y refuse qu’on envoie des troupes, qu’on s’empare de la principauté pontificale d’Avignon, qu’on ne laisse en aucune manière cet outrage impuni.
C’est cela être roi. Décider.
Ce travail, cette fonction que Dieu lui a donnée, exalte Louis.
« J’ai les yeux ouverts sur toute la terre ; j’apprends à toute heure les nouvelles de toutes les provinces et de toutes les nations, le secret de toutes les cours, l’humeur et le faible de tous les princes et de tous les ministres étrangers. Je suis informé d’un nombre infini de choses qu’on croit que j’ignore. Je pénètre parmi mes sujets, je découvre ce qu’ils veulent cacher avec le plus de soin ; je connais les vues les plus éloignées de mes propres courtisans, leurs intérêts les plus obscurs qui viennent à moi par des intérêts contraires. »
Il sait ce qui se cache derrière les masques, dans l’intimité des pensées.
Il l’a dit à Colbert. Il veut que des hommes sûrs écoutent, ouvrent les correspondances, et d’abord celles des courtisans, des Grands, rapportent ce qu’ils ont entendu, lu.
Le roi qui veut être obéi et qui veut bien gouverner doit tout connaître, aucun secret ne doit exister pour lui dans son royaume. Et il faut aussi s’employer à conserver et à faire croître la splendeur du roi.
Que l’on gratifie les artistes, les sculpteurs, les peintres, les musiciens et même les comédiens, français et étrangers, pour qu’ils célèbrent Louis le Grand. Qu’on frappe des médailles, qu’on tisse des tapisseries dans cette Manufacture royale des Gobelins que Colbert vient de créer, qu’on entreprenne des travaux dans le pavillon de chasse de Louis XIII à Versailles.
Rien n’est trop beau quand il s’agit du roi.
Louis s’avance dans cette salle des Tuileries où l’or des colonnes resplendit.
Il a voulu qu’on construise ce théâtre d’opéra, le premier de France.
Et maintenant il y paraît, sur la scène, dansant ce ballet l’ Ercole amante , entouré des princes, de
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