Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
maître d’hôtel de Madame, Claude Bonneau de Pumon. Il veut l’interroger.
Il le voit s’avancer, pâle, tremblant. Il va l’écraser de son autorité, lui faire craindre le supplice de la roue, et en même temps lui promettre la grâce s’il avoue.
— Madame n’a-t-elle pas été empoisonnée ? demande-t-il.
L’homme balbutie :
— Oui, Sire.
— Et qui l’a empoisonnée et comment l’a-t-on fait ?
L’homme hésite, puis indique que le chevalier de Lorraine a envoyé le poison, que le chevalier d’Effiat l’a placé dans la tasse de Madame.
— Et mon frère, demande Louis, le savait-il ?
— Non, Sire, aucun de nous trois n’était assez fou pour le lui dire. Il n’a point de secrets. Il nous aurait perdus.
Louis se tourne, murmure :
— Voilà tout ce que je voulais savoir.
Il lui était intolérable de penser que son propre frère fût capable de désirer, d’organiser l’empoisonnement de sa femme.
Il ne punira pas le premier maître d’hôtel. Il faut que la dalle du silence recouvre tout cela.
Il peut dès lors, puisque Philippe n’est pas responsable de cette mort, envisager de remarier son frère, dans l’intérêt du royaume.
Il se dirige vers sa cousine, la Grande Mademoiselle. Elle n’est pas belle. Elle a treize ans de plus que Monsieur, elle continue de rêver à Lauzun, mais elle est immensément riche.
— Ma cousine, dit-il, voilà une place vacante, la voulez-vous ?
Il voit la Grande Mademoiselle pâlir, trembler, murmurer :
— Sire, vous êtes le maître, je n’aurai jamais d’autre volonté que la vôtre.
Mais le lendemain elle a quitté la Cour pour prendre les eaux à Forges. Et Louis apprend que les mignons de Philippe seraient heureux de ce mariage qui leur permettrait de puiser dans la fortune de la Grande Mademoiselle.
Il vaut donc mieux renoncer, songer à un autre parti, peut-être à cette Charlotte de Bavière qu’on nomme Liselotte à la Cour de son père, l’électeur palatin.
Pourquoi pas ? Un habile contrat de mariage réserverait des droits à la succession de l’électeur palatin, et permettrait au roi de France – comme il le fait avec l’Espagne – de revendiquer l’héritage si la dot prévue n’était pas payée.
Louis donne l’ordre au nouveau secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Pomponne, de commencer les négociations avec l’électeur palatin. Il faudra que sa fille se convertisse à la religion catholique.
Louis regarde le portrait de la Palatine.
C’est une jeune femme de dix-neuf ans, déjà forte, à la grande bouche, au visage large, qui semble avoir le bout du nez et les joues rongés par la petite vérole. Elle est laide, mais après tout Philippe va-t-il même le remarquer ?
Il n’est préoccupé que de satisfaire ce vice italien qui le dévore.
À part cela « petit homme ventru, monté sur des échasses tant ses souliers sont hauts, toujours paré comme une femme, plein de bagues, de bracelets, de pierreries partout, avec une longue perruque toute étalée en devant, noire et poudrée, et des rubans partout où il en peut mettre, plein de toutes sortes de parfums. On l’accuse même de mettre imperceptiblement du rouge. Le nez fort long, la bouche et les yeux beaux, le visage plein mais fort long ».
Pourquoi ne pas unir pour le bien du royaume ce frère à Liselotte la Palatine ?
Louis ne doute pas que le duc d’Orléans accepte ce mariage. Qui ose résister à Louis le Grand ?
Louis a le sentiment que les êtres et les choses ne peuvent que céder devant sa volonté.
Il voit surgir de terre à Versailles cette ville neuve qu’il a voulue et qui viendra compléter le château dont il suit jour après jour la transformation. La construction du grand escalier, dit des Ambassadeurs, est commencée.
Le labyrinthe qui serpente dans les jardins conçus par Le Nôtre est déjà si étendu qu’on peut y errer longuement sans en trouver l’une des sorties. Et là, c’est le Grand Canal qu’on achève.
Louis voudrait déjà pouvoir vivre en permanence dans ce château de Versailles dont l’ordonnancement, la grandeur, les matériaux sont à l’image de la souveraineté solaire qu’il veut représenter.
Mais il faut encore séjourner aux Tuileries, à Saint-Germain ou à Chambord. Et chaque fois qu’il quitte ainsi Versailles, il sent l’impatience le gagner, comme si, loin de son château de prédilection, il n’était plus à son aise.
Il faut des
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