Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
émotion. Et tout à coup, il pleure, tête baissée, le corps secoué par les sanglots. Elle le prie de ne point pleurer. Il l’attendrit, ajoute-t-elle, et elle a besoin de toute sa résolution.
Elle tente de se soulever un peu, mais elle n’y réussit pas et elle dit que la première nouvelle qu’il aura le lendemain sera celle de sa mort.
Il sait qu’elle dit vrai.
Mais cette mort le trouble autant qu’elle le bouleverse.
La rumeur se répand qu’Henriette a été empoisonnée, que c’est vengeance de son époux, conjuration du cercle de ses mignons, et d’abord du chevalier de Lorraine qui, chassé de la Cour, pense qu’il ne pourra y revenir que si Henriette meurt. Alors il régnera sur le corps et l’âme de Philippe d’Orléans. On cite aussi le nom du chevalier d’Effiat, autre adepte du « vice italien », amant du chevalier de Lorraine, et sans doute aussi du duc d’Orléans.
Il faut tenter de mettre fin à ces rumeurs, apaiser aussi Charles II, le frère d’Henriette, qui, à Londres, convoque l’ambassadeur de France, semble persuadé de l’empoisonnement de sa sœur.
Louis ordonne une autopsie d’Henriette duchesse d’Orléans, et autorise l’ambassadeur d’Angleterre à y assister.
Les médecins ne découvrent aucune trace de poison.
Reste que les soupçons demeurent et que la mort est venue.
Il a le sentiment qu’elle marche vers lui.
Il est assis au premier rang de la basilique de Saint-Denis, et la prédication de Bossuet arrache les oripeaux, laissant voir le corps déchargé au fond d’un abîme où l’on ne reconnaît plus ni prince ni roi.
« Ô nuit désastreuse, ô nuit effroyable où retentit tout à coup comme un éclat de tonnerre cette étonnante nouvelle : “Madame se meurt, Madame est morte”, lance Bossuet.
« Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup ?
« Le roi pleurera, le prince sera désolé, et les mains tomberont du peuple de douleur et d’étonnement… Madame cependant a passé du matin au soir, ainsi que l’herbe des champs. Le matin elle fleurissait, avec quelles grâces, vous le savez, le soir nous la vîmes séchée. »
Louis regarde vers l’autel, là où se célèbre la puissance du Seigneur. Celui qui commande à la vie et à la mort.
Bossuet reprend.
« Une si illustre princesse, dit-il, ne paraîtra dans ce discours que comme un exemple, le plus grand qu’on se puisse proposer et le plus capable de persuader aux ambitieux qu’ils n’ont aucun moyen de se distinguer ni par leur naissance, ni par leur grandeur, ni par leur esprit…»
Bossuet reprend son souffle. Il se penche.
Louis a l’impression que le prédicateur s’adresse d’abord à lui, le Roi-Soleil.
« La mort qui égale tout, poursuit Bossuet, domine les ambitieux de tous côtés, avec tant d’empire, et d’une main si prompte et si souveraine, elle renverse les têtes les plus respectées. »
Louis ne baisse pas les yeux.
41.
Louis, avant de quitter la basilique de Saint-Denis, regarde longuement le tombeau d’Henriette.
Il sait que les résultats de l’autopsie de Madame n’ont pas convaincu. Les espions qui écoutent les courtisans, recueillent les rumeurs, ouvrent les lettres, percent le secret des dépêches des ambassadeurs, rapportent que l’on continue d’affirmer qu’Henriette a été empoisonnée.
On prétend même que Louise de La Vallière a été victime des mêmes mixtures.
Louis a cru en effet Louise agonisante, hébétée par une fièvre brutale que rien ne laissait présager.
Les médecins une fois encore ont été impuissants, purgeant, saignant la malade, affirmant soit qu’elle allait vivre, soit que la mort l’emporterait en quelques heures.
Puis Louise s’est assoupie, la fièvre s’est retirée, et Louis l’a entendue prier Notre-Seigneur, dire : « Il faut que je n’oublie jamais le spectacle de mon agonie et de Votre justice. » Elle doit être punie, ajoute-t-elle, pour l’adultère dans lequel elle s’est complu.
Louis se détourne. Quelle était la faute d’Henriette ?
Sa vie était un obstacle aux ambitions et aux intrigues des mignons, ces amants de Philippe d’Orléans qui veulent se servir des penchants de Monsieur, de son vice italien, pour amasser fortune, titres, pouvoir.
Et si Monsieur était l’âme de ce crime ? S’il l’avait ordonné, par jalousie, haine de son épouse ?
Cette question hante Louis.
Il veut savoir.
Il demande qu’on se saisisse du premier
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