Louis XIV - Tome 1 - Le Roi soleil
un jour à Versailles, la reine a murmuré : « Madame a l’air d’une morte habillée, à qui on aurait mis du rouge. »
Louis frissonne, s’écarte d’Henriette.
40.
Il est rentré à Versailles.
Il traverse lentement les salons du château où l’or alterne avec le marbre. Les courtisans l’entourent, puis s’installent aux tables de jeu que les valets viennent de dresser.
Il est ébloui par la beauté d’Athénaïs de Montespan qui s’assied à la plus grande des tables, place devant elle des piles de pièces d’or, puis commence à battre les cartes.
Il aperçoit, à quelques pas, la duchesse d’Orléans, debout près de son mari. Philippe, de temps à autre, lance à Henriette un regard méprisant, haineux même, alors qu’elle est l’image de la grâce et de la douceur.
Louis va vers elle.
Il veut lui redire qu’elle s’est acquittée avec talent de sa mission, que le traité de Douvres signé entre l’Angleterre et la France, et qu’elle a négocié, change la donne. La Hollande est affaiblie. L’armée que Louvois rassemble et qui comptera bientôt cent vingt mille hommes pourra, dans quelques mois, infliger à ces Bataves la leçon qu’ils méritent.
Henriette s’incline. Elle est toute dévouée au roi, murmure-t-elle.
Philippe, d’une voix sèche, indique qu’ils vont se retirer, qu’ils partiront demain, 24 juin, pour le château de Saint-Cloud.
Il ne peut oublier cette nuit passée près d’Henriette, dans cette maison, dans la plaine boueuse des Flandres noyée par la pluie, et les griffures de la mort striant les joues de cette femme d’à peine vingt-six ans et que Louis avait autrefois désirée, aimée même.
Louis voudrait ne plus se souvenir.
Il chasse. Il passe les troupes en revue.
Il se rend plusieurs fois par jour dans les appartements d’Athénaïs de Montespan. Il rit aux traits qu’elle décoche contre Lauzun, dont elle se dit l’amie pourtant, mais qui habilement a séduit la Grande Mademoiselle et rêve de la fortune immense de la cousine germaine du roi.
Il faut briser les ambitions de ce séducteur rapace, murmure Louis. Il va ordonner son arrestation, son enfermement dans la forteresse de Pignerol. Lauzun pourra y converser avec Nicolas Fouquet qui s’y morfond toujours.
On ne peut s’opposer à la volonté du roi, et la Grande Mademoiselle va l’apprendre à ses dépens, même si c’est Lauzun qui sera châtié.
Mais, quittant la chambre d’Athénaïs, ignorant les soupirs de Louise de La Vallière, Louis reste préoccupé.
Ce dimanche 29 juin 1670, le comte d’Agen, arrivant du château de Saint-Cloud, raconte que la duchesse d’Orléans, après avoir bu un verre d’eau de chicorée, s’est écriée, en serrant sa taille entre ses mains : « Ah ! quel point de côté ! Ah ! quel mal ! »
On l’a prise dans les bras, dévêtue, couchée. Mais elle va plus mal, disant qu’elle sera bientôt morte. Elle a voulu qu’on regardât l’eau qu’elle avait bue. C’était du poison, a-t-elle répété. Elle était empoisonnée, elle le sent bien. Elle veut qu’on lui donne sur-le-champ du contrepoison.
Louis exige qu’on lui apporte d’autres nouvelles et, allant et venant d’une pièce à l’autre, il attend les courriers, s’efforçant de ne pas montrer cette angoisse qui l’étreint.
La mort, le poison.
Un courrier arrive, rapporte que Madame s’est écriée :
— Si je n’étais pas chrétienne, je me tuerais tant mes douleurs sont excessives. Il ne faut point souhaiter de mal à personne mais je voudrais bien que quelqu’un pût sentir un moment ce que je souffre pour connaître de quelle nature sont mes douleurs.
Louis veut la voir.
Il quitte Versailles pour Saint-Cloud.
Il interroge les médecins. Ils parlent en même temps, ils caquettent, ils disent qu’elle est sans espérance, que sa froideur et le pouls retiré sont une marque de gangrène, qu’il faut lui faire recevoir Notre-Seigneur. Ces médecins ont perdu la tramontane. Ils se contredisent, sont incapables de trouver des remèdes, d’administrer de l’émétique, de faire vomir la duchesse d’Orléans.
Louis s’approche d’elle.
Le visage est plus blanc que le drap. Les yeux sont cerclés de noir.
Il veut la rassurer. Henriette lève à peine les doigts, murmure que le roi va perdre sa plus dévouée servante. Elle n’a jamais craint la mort mais a peur de perdre les bonnes grâces de son roi.
Il voudrait maîtriser son
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