Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
croire qu’ils seront les fidèles sincères d’une religion qu’on leur aura forcé d’accepter ?
Louis ne répond pas.
Il a reçu des placets qui rapportent les mêmes faits. Il l’a dit : il ne veut pas de violences. Mais c’est l’unité du royaume qui est en question, l’autorité de son roi, le destin de la foi et de la religion catholiques, menacées par les hérétiques, les Turcs. Et il doit être le souverain qui en son royaume triomphe de l’hérésie.
Il devine que Monseigneur veut continuer à parler. Il l’interrompt. Il s’irrite et la douleur devient plus aiguë. Elle embrase tout son corps de la nuque aux talons.
Il voudrait fermer les yeux, laisser sa tête retomber sur sa poitrine. Il voudrait pouvoir s’affaisser, s’allonger, ne plus porter ce corps si lourd.
Il voudrait s’appuyer au bras de Françoise, l’entendre prier, invoquer le Seigneur, l’appeler à l’aide, à la miséricorde.
Il a besoin d’elle. Il peut, devant elle, montrer sa faiblesse, ses craintes, exhaler sa douleur.
Il a besoin de Dieu.
D’un mouvement de tête, il renvoie Monseigneur le dauphin.
Il est enfin seul avec Mme de Maintenon.
Il ne veut plus qu’on le harcèle avec des détails comme si l’on cherchait, de cette manière, à le faire revenir sur ses décisions.
Il veut éteindre l’hérésie dans le royaume. Voilà son grand dessein ! Il veut que son autorité soit partout respectée. Et il n'accepte plus qu’on se comporte autrement qu’il le désire.
Il a l’impression que la douleur dans son corps s’avive chaque fois qu’il éprouve un mécontentement. Il a besoin, pour vaincre cette souffrance, pour mener cette guerre contre ce corps qui lui échappe, de ne plus rencontrer d’opposition, d’obstacle.
Il veut d’autant plus maîtriser le corps du royaume que sa propre chair se rebelle, que son propre corps se défait.
Il veut l’ordre partout.
Il approuve les soixante articles qui établissent les règles de la traite négrière, du commerce et du travail des esclaves dans les îles de l’Amérique.
Par ce « code noir » sera « maintenue la discipline de l’Église catholique, apostolique et romaine pour y régler ce qui concerne l’état et la qualité des esclaves dans nos dites îles ».
Il veut que tous les esclaves soient baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine.
Il accomplit ainsi, dans les îles lointaines, son grand dessein de défendre partout la juste religion. Les hérétiques et les juifs n’ont point de place dans les îles. Et même si « les esclaves sont meubles, et comme tels entrent dans la communauté », et s’il est de droit que « les enfants qui naîtront de mariage entre les esclaves seront esclaves », du moins pourront-ils, parce que baptisés, être reconnus comme hommes par l’Église et par Dieu.
Il lit la dernière phrase du code :
« Car tel est notre bon plaisir, et afin que soit chose ferme et stable à toujours nous y avons fait mettre notre scellé, le grand sceau de cire verte, en lacs de soie verte et rouge. »
Il signe.
Et durant quelques instants la souffrance se dissipe, comme si l’acte accompli était le meilleur des remèdes pour son corps douloureux.
Et il en est ainsi chaque fois qu’il agit, qu’il a le sentiment que l’ordre et son autorité pénètrent plus profondément dans le royaume et l’apaisent.
Il veut qu’on enferme les mendiants, qui sont comme les plaies purulentes des villes et des campagnes, dans des « ateliers de mendicité ».
Il approuve Mme de Maintenon, quand elle lui exprime sa volonté de faire construire à Saint-Cyr des bâtiments pour y accueillir et y éduquer des jeunes filles de bonne lignée de noblesse, mais pauvres.
Il voudrait que le royaume soit aussi réglé que l’est la Cour, et qu’en chaque ville le roi soit présent – comme il l’est à Versailles, et chaque jour aux yeux de tous – par une statue équestre, placée au centre de la plus grande place afin que tous les sujets le voient, l’honorent, sentent qu’il veille sur eux et les contrôle.
Et que ces sujets puissent venir à Versailles, admirer ces constructions, ces chantiers encore ouverts, et où s’affairent plus de trente mille ouvriers, entreprenant là la construction d’un aqueduc, pour détourner le cours d’une rivière, l’Eure, ou bien ici bâtissant l’aile nord du château.
C’est ainsi, quand l’ordre progresse,
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