Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
des ruines, des amoncellements de cendres, et tant pis si les monuments, les églises sont aussi rasés.
Louvois s incline, approuve, indique que les destructions ont commencé, que les habitants ont fui et se sont réfugiés dans les forêts.
Louvois a reçu ce matin même une dépêche du marquis de Chamlay qui commande les troupes chargées d’occuper Mannheim.
Chamlay a écrit :
« Dès le lendemain de la prise de Mannheim, je mettrai les couteaux dedans et je ferai passer la charrue. »
Louis reste impassible.
C’est ainsi qu’il faut agir. Car le grand affrontement a commencé.
Guillaume d’Orange et son épouse Mary Stuart ont été couronnés roi et reine d’Angleterre, et ils ont aussitôt commencé la guerre, bombardé Saint-Malo, leur flotte pourchassant les bateaux français, car le stathouder des Provinces-Unies devenu Guillaume III d’Angleterre veut aussi détruire le commerce du royaume de France. Ses alliés l’empereur germanique et Frédéric I er de Brandebourg sont tout aussi déterminés que lui. Ils sont prêts à user de tous les moyens pour l’emporter, alors qu’ils s’indignent de l’action des troupes royales dans le Palatinat.
Et naturellement les huguenots sont ceux qui hurlent le plus fort, qualifiant le roi de France de « fléau de Dieu », de « Turc », de « barbare », de « fou furieux ».
Dans un pamphlet intitulé Soupirs de la France esclave , et dont l’auteur est sans doute l’un de ces pasteurs obstinés et haineux, on peut lire :
« Les Français passaient autrefois pour une nation honnête, humaine, civile, d’un esprit opposé aux barbaries ; mais aujourd’hui un Français et un cannibale, c’est à peu près la même chose dans l’esprit des voisins. »
Louis est insensible à ces aboiements, et même aux supplications, aux plaintes de la princesse Palatine.
Chaque jour, dans ses lettres, elle se lamente, elle proteste.
Dans sa dernière missive, elle écrit :
« Une calamité affreuse et pitoyable s’est abattue sur le pauvre Palatinat. Ce qui me fait encore souffrir le plus, c’est qu’on s’est servi de mon nom pour précipiter les pauvres gens dans un malheur extrême et quand je proteste en pleurant, on m’en sait mauvais gré, on m’en fait des reproches. Dût-on m’ôter la vie, je ne puis cesser de regretter et de déplorer ce qui arrive. Je ressens une telle horreur de tout ce qu’on a fait sauter que toutes les nuits, à peine endormie, il me semble être à Heidelberg ou à Mannheim et voir toute la désolation. Je me réveille alors en sursaut et de deux heures je ne puis trouver le sommeil. Je me représente alors comment tout était de mon temps et dans quel état on l’a mis maintenant, puis en quel état je suis moi-même et je ne puis m’empêcher de pleurer à chaudes larmes. Ce qui me désole encore, c’est que le roi a précisément attendu pour précipiter tout dans la dernière misère que je l’eusse imploré en faveur de Heidelberg et de Mannheim. Et l’on trouve encore mauvais que je m’en afflige, mais vraiment c’est plus fort que moi…»
Il ne veut pas se laisser émouvoir. La Palatine est du parti de l’ennemi. Elle ajoute :
« Les troupes brandebourgeoises ont quelque peu épousseté les Français. Ce que j’en pense ne peut se confier à la plume, mais vous le devinerez sans peine. »
Il s’indigne quand il découvre dans une autre lettre qu’Élisabeth Charlotte est pleine d’indulgence pour Guillaume III d’Angleterre, auquel elle fut autrefois fiancée.
Elle se permet d’écrire :
« J’espère si le malheur voulait ici que le prince d’Orange (car il nous est interdit de dire le roi Guillaume) prenne sa vengeance, qu’il se rappellera notre ancien amour et qu’il ne me fera point de mal. »
Et c’est l’épouse de Monsieur, la belle-sœur du roi Louis le Grand, qui a de telles pensées !
Louis est d’autant plus révolté par ces propos qu’il vient de recevoir une dépêche de son ambassadeur à Madrid, le comte de Rebenac, qui lui annonce la mort de la reine d’Espagne, Marie-Louise d’Orléans, la fille issue du premier mariage de Monsieur, et qui meurt à vingt-sept ans, comme sa mère Henriette d’Angleterre, et de façon aussi inattendue, mystérieuse.
Elle retenait son époux Charles II, débile et impuissant, soumis aux pressions de l’empereur d’Allemagne qui voulait que l’Espagne s’engage résolument
Weitere Kostenlose Bücher