Louis XIV - Tome 2 - L'hiver du grand roi
mots est un poison.
Mais il doit continuer à lire pour ne pas oublier qu’autour de lui, à la Cour, grouillent les serpents.
Il se souvient qu’on avait accusé le chevalier de Lorraine et le marquis d’Effiat d’avoir empoisonné Henriette d’Angleterre, la première épouse de Monsieur. Et Athénaïs de Montespan avait peut-être dévoilé son corps au cours des messes noires, sa poitrine servant d’autel à des prêtres voués au culte de Satan.
Le mal est partout et c’est une guerre sans fin qu’il doit mener contre lui.
Les hérétiques sont ses suppôts et ce sont eux qui, au cœur du royaume, et à Londres, à Amsterdam, au Hanovre ou dans le lointain Brandebourg, attisent la haine contre lui.
Il vient d’apprendre que, comme il l’avait craint, Guillaume d’Orange a débarqué en Angleterre, que Jacques II, incapable de résister, a fui son royaume, et qu’il vogue sans doute vers la France.
La guerre est bien là, qu’il faut conduire de manière impitoyable, avec autant de détermination qu’on en a mis à combattre les huguenots.
Il faut mener hors des frontières la politique des dragonnades.
Qu’on le fasse à Philippsburg, et dans toutes les villes du Palatinat que l’on va assiéger, conquérir.
Et peu importe les sentiments et les protestations d’Élisabeth Charlotte, la Palatine.
Que peut-il attendre d’elle ou de qui que ce soit, sinon la haine et l’ingratitude ?
Dieu seul est magnanime. C’est lui seul qu’il faut prier. Il est le Seigneur du monde.
En lui seul on peut avoir confiance.
Et peut-être en ceux qui se proclament ses serviteurs, qui le prient comme le fait Françoise de Maintenon.
Mais la princesse Palatine a gardé au fond d’elle-même le poison de l’hérésie.
Et c’est lui qu’elle déverse dans cette lettre dont il doit reprendre la lecture.
Elle écrit :
« Lors même que le duc du Maine au lieu d’être le fruit d’un double adultère serait un prince légitime, je n’en voudrais pas pour mon gendre, non plus que de sa sœur pour ma bru ; car il est affreusement laid, paralysé, et il joint encore à cela plusieurs autres mauvaises qualités : ainsi il est avare en diable et n’a pas un bon naturel. Par-dessus le marché ils sont l’un et l’autre comme je vous l’ai dit, bâtards d’un double adultère et enfants de la femme la plus méchante et la plus perdue que la terre puisse porter. Toutes les fois que je vois ces bâtards, cela me fait tourner le sang. »
Il prend une autre lettre. Et c’est la même haine contre lui, contre Françoise de Maintenon, « la vieille ordure du roi », ose écrire Élisabeth Charlotte. Elle ajoute :
« Les gens du peuple de Paris disent très haut que ce serait une honte si le roi donnait à ses bâtards des enfants légitimes de sa famille. »
Il ne doit pas se laisser emporter par la colère.
Chaque chose en son temps.
Il faut mener la guerre, et donc faire le siège des villes du Palatinat et d’abord de Mannheim.
Il ordonne que, lorsqu’elle sera conquise, on en rase la citadelle, et on en détruira les habitations de manière qu’il ne reste pas pierre sur pierre.
Mais, dit-il à Louvois, ces instructions doivent rester secrètes. Les souverains et leurs sujets doivent être comme frappés par la foudre.
Ils ont voulu combattre le roi de France, rompre la trêve, se liguer contre lui ?
Ils ont oublié qu’on ne s’oppose pas impunément à Louis le Grand.
9.
Il s’arrête sur le seuil de la grande salle de la maison de Saint-Cyr où les jeunes pensionnaires vont donner, devant toute la Cour et le roi d’Angleterre Jacques II réfugié depuis quelques jours en France, une représentation d’ Esther , la dernière pièce de Racine, écrite pour Mme de Maintenon.
D’un mouvement de tête, le roi invite Louvois à s’approcher. Il veut connaître la situation dans le Palatinat.
Il murmure, afin qu’aucun des courtisans qui se trouvent à quelques pas ne l’entende.
— Il faut, dit Louis, empêcher que les Allemands puissent se servir des villes et des forteresses. Il faut leur interdire d’entamer le Rhin.
Louvois sait ce que cela signifie : détruire les villes et leurs forteresses, mais aussi brûler les récoltes, égorger le bétail, punir les populations, les chasser, incendier leurs maisons.
Cela vaut pour Mannheim comme pour Worms, Spire, Kreuznach, Oppenheim, Heidelberg, et tous les villages. Il ne faut laisser que
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